
Je ne peux pas m'empêcher de sourire quand j'entends encore aujourd'hui cette distinction entre les auteurs qui planifient et les auteurs qui écrivent au fil de la plume. En général cette séparation est suivie d'une question simple: dans quel camp êtes-vous ?
Je réponds que je suis dans le camp du projet, à l'écoute de ses besoins. Et parfois le projet a besoin que je m'occupe de planification et d'autres fois, le projet a besoin que je laisse la place à une écriture plus spontanée.
Le travail de structure, intentionnel, délibéré, analytique, réflexif, est autant nécessaire que celui de lâcher-prise, de laisser les mots sortir de soi et s'étaler sur la page sans même de réelle attention consciente.
Apprendre les techniques de l'écriture, davantage que l'acquisition des outils eux-mêmes, c'est apprendre quand utiliser quelle technique et pour cela, c'est comprendre comment l'auteur construit son texte.
La plupart des auteurs travaillent sans prendre le temps de s'observer et alors qu'ils activent une multitude de processus cérébraux, alors qu'ils déclenchent des signaux neuronaux à tout va, ils disent: "je suis inspiré ou je ne le suis pas". Ce raccourci donne l'illusion (aux auteurs autant qu'à ceux qui les écoutent) qu'écrire échappe à toute étude technique, que cela "ne s'apprend pas", qu'on "l'a ou pas".
C'est pratique comme raccourci parce que si écrire ne s'apprend pas, alors quiconque veut écrire un livre et rencontre des difficultés peut se réfugier derrière ses circonstances. C'est la faute d'un "talent" qui n'existe pas, c'est parce que eux ne fonctionnent pas "comme ça", et parce qu'ils n'ont pas la "chance" d'être inspirés. Or, il n'y a pas de projet qui ne présente pas ses difficultés.
En réalité, l'écriture ne résiste pas à une étude systématique. Elle est, comme toutes les activités humaines, la résultante d'une série de décisions et d'application de procédés cognitifs visant à créer du sens et des émotions.
Récapitulons: écrire, c'est mettre en scène des personnages qui vivent des situations conflictuelles et agissent, qui se transforment ou résistent à une transformation. C'est aussi construire des lieux, choisir des accessoires, des costumes, développer des tensions et les résoudre ou les envenimer et à travers tout cela, transmettre un point de vue sur le monde, une expérience du monde.
Chacune de ces étapes peut être découpée à son tour: mettre en scène des personnages c'est comprendre ce qui fait une personnalité, la cohérence d'un comportement, c'est avoir une idée des mécanismes conscients et inconscients qui poussent les gens à agir et jouer avec ces mécanismes.
Raconter une transformation c'est observer comment l'humain, confronté à lui-même, est capable de trouver des ressources en lui et de les activer pour faire face à une situation difficile en lien avec ses valeurs et ses aspirations, comment il choisit d'activer ou non ces ressources et comment ce choix l'affecte.
Mettre en scène des décors demande de comprendre la charge symbolique des lieux, d'avoir quelques notions de la manière dont l'agencement architectural d'un espace influe sur l'usage qui en est fait.
Raconter, c'est comprendre les notions de rythme, apprendre à manier les silences et à varier les champs lexicaux, les structures grammaticales et stylistiques, choisir avec pertinence le vocabulaire et la longueur des phrases et des paragraphes pour induire certaines expériences de lecture plutôt que d'autres, pour valoriser certaines informations plutôt que d'autre.
Il y a aussi à apprendre à se connaître en tant qu'auteur, aller chercher en soi pourquoi l'on écrit, à quelle fin et pour quelle motivation profonde. Il faut apprendre les techniques qui permettent d'approfondir cette connaissance, voir le lien entre ce noyau identitaire de l'auteur et ses textes.
Et puis il y a toutes les connaissances connexes, comme les arts de la communication, pour se faire connaître. Et la productivité. Et la créativité.
Alors oui, dire "je suis inspiré" c'est un bon raccourci pour parler de toutes ces choses. Et parler de "talent" évite de voir le long chemin d'apprentissage qui attend l'auteur qui décide de perfectionner sa technique pour élever son art vers son potentiel le plus élevé. Avec tout ce qu'il y a à apprendre dans l'écriture, se confronter à la technique peut vite s'avérer décourageant si l'on a pas une bonne technique d'apprentissage. Si vous cherchez à mémoriser les notions théoriques et si vous oubliez d'intégrer les techniques dans une pratique réelle pour en comprendre les nuances, ne commencez pas.
Apprendre à écrire cela se fait en alternant entre étude fondamentale et étude appliquée de tous les champs que j'ai énoncés ci-dessus, dans un certain ordre. Commencez par les bases de la dramaturgie avant d'aborder les nuances de la narration, par exemple.
J'explique ce que c'est que d'être un technicien efficace de son écriture dans le second module de ma formation sur les sept fondations de l'écriture. Je donne par exemple des techniques pour éviter de vous laisser submerger, pour apprendre à un rythme adapté à vos besoins. Je détaille comment choisir un mentor et adopter ses méthodes de travail pour progresser.
Je crois que le plus important pour un auteur c'est d'être curieux, de se demander: "Et si… ?".
Et si je commençais par structurer mes histoires ?
Et si je lançais une plate-forme pour construire mon lectorat même si je n'ai pas encore de livre à promouvoir ?
Et si je travaillais chaque semaine ma créativité pendant un an ?
Et si…
Si vous n'essayez pas, vous ne saurez pas ce comment ces techniques et ces pratiques peuvent changer votre écriture. Vous resterez coincé dans une représentation de votre écriture comme extérieure à vous, hors de votre contrôle, une sorte de génie capricieux qui se présente quand il en a envie et face auquel vous n'avez que le choix de rester passif.
Depuis que j'enseigne je m'efforce d'offrir aux auteurs des expériences différentes, de nouvelles manières d'appréhender l'écriture. Du tout technique au tout spontané, du travail très analytique au travail métaphorique, de l'hyper structuré à l'hyper laxe…
Parce qu'écrire c'est avant tout explorer et jouer et inventer sa propre réalité mais pour cela, il faut les bons outils.
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