
06 juillet 2002
Le père de Léa a été inhumé dans le nord. Je suis allée à la cérémonie, ce fut un moment étrange pour moi... à la fois douloureux et salvateur. Mes larmes ont coulé pendant la messe, je déteste les messes. J’avais le sentiment qu’une partie de ma vie avait été enterrée là-bas comme si j’y avais laissé mon passé avec Léa. Je reprenais petit à petit ma place « d’accompagnante de la vie ». Je faisais le deuil de ma place d’amante cependant, sa famille m’accueillait exactement de la même façon qu’avant, rien n’avait changé dans les relations. J’étais heureuse de revoir tout le monde même si les circonstances étaient tristes.
08 juillet 2002
Je n’ai pas pris le temps d’écrire sur ma famille.
Mon beau-père a ouvert les yeux début juin sur l’état de santé réel de ma mère suite à un rendez-vous avec la psychiatre qui lui a clairement dit que ma mère était en train de quitter notre monde, pour s’enfermer progressivement dans le sien. Elle lui a expliqué quelle serait l’évolution de la maladie. Il ne voulait pas regarder la vérité en face.
Les jours qui ont suivi ce rendez-vous ont été l’occasion d’une reprise de contact après six mois de silence et de rejet. Il a téléphoné à ma sœur à 7 h 30 du matin pour lui dire qu’il n’en pouvait plus et qu’il fallait qu’on l’aide. Il était en pleurs au téléphone sur son lieu de travail. Ma sœur m’a contactée aussitôt, j’étais encore couchée, je me demandais ce qui se passait pour que le téléphone sonne à une heure si matinale. Elle m’a raconté que mon beau-père était en pleine dépression et qu’il fallait qu’on l’aide. Nous avons décidé de le voir le soir même et de lui donner rendez-vous chez ses parents puisqu’ils étaient partis en vacances et qu’il devait passer chez eux.
Dans l’après-midi, nous sommes avons rendu visite à ma mère. Elle était comme d’habitude, pas de changement, ni pire, ni mieux. Nous étions tout de même stressées de rencontrer Guillaume après tout tous les reproches et menaces qu’il avait eus à notre encontre.
Lorsque nous sommes arrivées sur le lieu de rendez-vous, il était déjà là, tous les volets de la maison étaient fermés. La porte d’entrée était grande ouverte, nous sommes entrées en frappant. Il était assis dans un fauteuil, dans le silence et la pénombre. Il avait des douleurs dans le ventre. Il a commencé à nous parler du discours de la psychiatre qui, selon lui, avait été très dur. Elle n’avait fait que lui dire la vérité, rien d’autre, mais il refusait d’entendre. Il s’est mis à pleurer comme un enfant pendant deux heures durant lesquelles nous avons essayé de dialoguer. Nous lui avons conseillé de se faire aider par un psychologue et de se faire arrêter quelque temps, il n’était plus en état de travailler.
Perturbée par ce rendez-vous, je me suis couchée tard alors que je devais ouvrir le restaurant le lendemain et que nous avions une soirée organisée par notre patron dans une boîte de nuit de la région. Un repas et une soirée dansante étaient prévus au programme, mais je ne me sentais pas trop bien, pas assez en forme pour m’y rendre. D’ailleurs, mes collègues n’avaient pas envie d’y aller non plus... Je suis repassée chez moi après le service pour prendre une douche et vraiment, je n’étais pas au top. J’aurais souhaité ne pas participer à cette soirée, mais en tant que manager, cela ne se refusait pas, cela faisait partie de mon devoir.
Avec mes collègues de restaurant, nous sommes arrivés les premiers. Nous avons bu l’apéritif, puis nous sommes allés nous servir au buffet. Nous étions quelques une à décider de faire la fête pour se motiver et profiter de la soirée entre nous. Après l’impasse sur le dessert, nous sommes allées directement danser. Un verre en entraînant un autre, nous dansions dans la cage qui était sur la piste. On m’offrit une cigarette que j’acceptais alors que je ne fumais plus et au bout d’un moment, je ne me suis pas sentie bien du tout. Je ne voyais plus rien, je n’entendais plus rien non plus, je me sentais partir. Je ne sais pas par quel moyen je suis descendue de la cage pour aller aux toilettes, ce fut ensuite le trou noir...
J’étais malade et je ne comprenais pas ce qui s’était passé, car je ne me souvenais pas avoir bu plus de deux ou trois verres. Ma directrice adjointe de restaurant m’a retrouvée dans les toilettes, elle a voulu m’emmener prendre l’air. Mon directeur m’a accompagnée, il me demandait de mettre mes doigts dans ma bouche pour me faire vomir. J’ai fait comme il m’a dit, mais j’étais encore moins bien après. Ma directrice adjointe, Vanessa, est venue me rejoindre dehors. Elle a essayé de me faire parler, car elle savait que j’avais des soucis avec ma mère et que je n’en parlais pas.
J’ai oublié que je devais faire l’ouverture du restaurant le lendemain, Vanessa m’a fait remplacer par ma collègue qui devait faire la fermeture à ma suite, nous avons échangé nos services pour que je puisse récupérer en dormant un peu plus. Il était déjà très tard et nous ne pouvions pas rentrer tout de suite, car les filles devaient souffler dans l’alcootest pour pouvoir reprendre le volant et il n’était pas vraiment bon. En attendant de digérer, elles m’ont allongée sur une banquette ou j’ai dû m’endormir.
Quand l’alcool fut suffisamment évaporé pour que l’on puisse repartir, les filles m’ont ramené jusqu’à mon lit ! Il était quatre ou cinq heures du matin. Elles m’ont laissé un mot pour que je ne me réveille pas en panique et que je sache que quelqu’un ouvrait le restaurant à ma place.
Quand je me suis réveillée vers 10 heures, je me suis mise à pleurer. Je me sentais très mal, j’avais la sensation de ne pas être moi-même. J’avais la tête ailleurs, incapable de réfléchir, de penser, de ressentir quoi que ce soit. J’étais un zombie ! Je suis sortie de mon lit, j’ai appelé le restaurant et je suis tombée sur mon directeur qui n’était pas très frais non plus, il m’a passé ma collègue qui me remplaçait. Je lui ai dit que j’étais mal, elle m’a répondu de me reposer et de ne pas m’inquiéter, j’avais juste pris une cuite. Elle m’attendait pour que je prenne sa place l’après-midi.
J’ai raccroché et je suis allée vomir le cachet que je venais de prendre pour le mal de tête. Je me suis allongée sur le canapé au même moment, Léa m’a envoyé un texto pour me demander si elle pouvait descendre prendre un café. Elle est venue et elle a vu que je n’étais pas dans mon état normal. Je n’arrivais pas à parler, mes dents étaient complètement serrées, j’en avais mal dans la mâchoire. Je n’y voyais pas très bien, ma vue était trouble, je n’avais aucune sensation, j’étais comme anesthésiée. Je n’avais aucune envie de bouger, je voulais dormir, m’enfermer dans le noir, ne pas entendre le téléphone.
Je n’ai pas fait de café pour Léa, je n’avais même pas le courage d’aller lui ouvrir la porte quand elle est repartie. Jamais je n’ai été aussi mal de ma vie, jamais ! Je regardais l’heure sans arrêt, car je n’avais plus aucune notion du temps. Je suis allée me doucher et je me suis préparée pour aller travailler alors que je n’étais pas du tout en état d’y aller.
En arrivant au restaurant, je suis allée déposer mes affaires dans le bureau des managers sans dire un mot. Mon directeur m’a accueillie :
— Bonjour Madame Galette ! me dit-il en plaisantant.
— Bonjour...
— ça va ? me demanda-t-il.
— Hum...
Je n’avais aucune envie de discuter, j’étais comme sonnée. J’ai commencé à regarder mon planning pour la soirée, machinalement je démarrai mon service comme un robot, mes gestes étaient en mode automatique. J’avais la tête ailleurs, j’étais incapable de prendre des initiatives, d’anticiper, je perdais soudainement confiance en moi. J’avais la sensation d’être en décalage avec la réalité. Il m’est impossible de décrire avec les mots justes ce que je ressentais intérieurement, j’avais l’impression de perdre les pédales, de devenir folle.
J’ai passé la soirée en cuisine, car j’avais un nouvel équipier en formation qui avait beaucoup de mal à avancer, et je ne me serai pas vue au comptoir.
Le lendemain, mon amie Karine arrivait à Rouen pour le week-end. Mon directeur devenait lourd avec ses blagues à deux balles sur ma « super cuite ». J’avais le droit au défilé de tout le personnel, même ceux des autres restaurants, personne n’en revenait ! Ce n’était pas mon style de me « déchirer » en boîte, comme ils disaient... c’est sûr... mais personne ne s’est posé plus de questions sur mon état psychologique réel sauf notre supérieur hiérarchique qui a demandé à Vanessa si elle savait si j’avais des soucis personnels. Il me connaissait un peu, nous avions travaillé ensemble lorsqu’il était directeur du restaurant.
Lorsque Karine est venue me chercher à la sortie du restaurant le vendredi soir, elle a trouvé que j’avais une sale tête. Nous sommes rentrées chez moi directement, et nous avons commencé à discuter, je n’arrivais pas à suivre la conversation. J’étais fatiguée, épuisée, je voulais dormir.
Le samedi matin, je me suis réveillée tard et je n’avais aucune envie de me lever, je ne me sentais toujours pas bien. Je me posais vraiment des questions sur ce qui pouvait se cacher derrière cette pseudo cuite. Toute la journée j’ai dû faire des efforts monumentaux pour rester mentalement présente, mes dents ne desserraient pas, je ne supportais pas la lumière, je ne supportais pas non plus le moindre bruit... autant de signes qui m’indiquaient un éventuel burn-out. J’ai voulu attendre un peu avant de consulter un médecin, au fil des jours mon corps retrouvait ses sensations, mais ma tête restait dans le brouillard le plus complet.
Karine se posait des questions elle aussi, elle ne m’avait jamais vue dans cet état et pensait que la cuite avait le dos large. Les soucis avec mon beau-père ont certainement pesé dans la balance, voir ma mère partir était insupportable, retrouver Léa dans des conditions douloureuses n’était pas forcément agréable, et l’ambiance au restaurant était catastrophique.
Le dimanche, nous sommes allées à Dieppe, je pensais que le bord de mer allait me faire du bien et m’aider à remonter la pente. J’adore la mer, elle me réconforte bien souvent en cas de déprime. Je n’arrivais même pas à apprécier quoi que ce soit, mes dents se sont tout de même un peu desserrées en fin de journée, au moment où Karine devait repartir.
Le mardi suivant, j’ai craqué sur mon lieu de travail. Mon directeur était sans arrêt sur mon dos, je perdais confiance en moi. J’avais fait des erreurs dans les commandes fournisseurs pour le restaurant et il s’acharnait sur moi. Je n’en pouvais plus, les larmes sont montées et j’ai fini par craquer. Le soir, j’ai téléphoné à Vanessa pour lui expliquer ce qui s’était passé au restaurant, car elle était en repos. Elle allait essayer de parler avec son chef pour qu’il me laisse tranquille.
Le comportement de mon directeur a changé les jours suivants, il s’est calmé un peu et le vendredi je suis allée consulter mon médecin, car mon état psychologique ne s’arrangeait pas. Je lui ai expliqué que j’étais sans arrêt fatiguée, que mon cœur s’emballait tout seul et que je passerai bien mes journées couchée. Il m’a prescrit un traitement sans me dire ce qu’il avait diagnostiqué, je n’ai pas posé de question non plus, car ma tête était déjà embrouillée. J’ai regardé l’ordonnance en sortant, la pharmacie était fermée, je ne connaissais pas ce médicament prescrit pour un mois. J’ai refusé l’arrêt maladie, car j’allais bientôt être en vacances.
Le lendemain, je suis allée chercher le médicament, j’ai lu la notice, c’était un antidépresseur... J’étais contre ces traitements, mais j’étais tellement mal que je n’ai pas eu d’autre choix que de le prendre, je voulais retrouver ma tête. Ce que je n’admettais pas en fait, c’était de ne plus être assez forte pour endurer les épreuves. J’avais peur des effets secondaires, je ne voulais pas être un « zombie », mais je l’étais déjà sans traitement !
J’ai pris conscience que j’étais toujours là pour les autres, mais que j’étais dure avec moi-même, voire sans pitié.
Maintenant, il faut que je m’occupe de moi et que je prenne du recul par rapport aux autres. Je ne peux pas porter les histoires de tout le monde... L’éponge que je suis n’en peux plus, il fallait un essorage d’urgence. Je captais la dépression chez les autres, je ne voyais pas la mienne... Il a fallu que mon corps frappe fort pour que je me décide à prendre soin de moi.
J’ai donc pris ce traitement, au bout de quelques jours je me sentais déjà mieux. Au bout de deux semaines, j’avais retrouvé ma force de caractère, je suis redevenue moi-même.
Maryline
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