19 septembre 2017

Coup de théâtre à la préfecture

Tigre, Tête, La Faune, Des Animaux


04 février 2003

Je travaillais d’ouverture ce matin puis, en sortant du restaurant dans l’après-midi, j’allume mon portable et je trouve deux messages d’Angéla qui m’annonce que son mari n’avait plus le droit de travailler et devait quitter la France dans un mois. Je n’en croyais pas mes yeux ! Angéla était partie voir un juriste. J’ai pris le chemin de la maison, la rage au ventre. Je savais bien qu’elle ne pouvait pas faire confiance à cette femme de la préfecture. J’étais énervée, la haine montait et je ne pouvais pas téléphoner à Angéla pour en savoir plus, elle devait être en rendez-vous.

Je me suis changée pour enfiler mes baskets et aller courir, j’avais besoin de me défouler. Le temps était magnifique quand je suis partie, mais les nuages sont arrivés en cours de route et il s’est mis à pleuvoir. J’ai continué à courir sous la pluie jusqu’à l’épuisement. En rentrant, j’étais plus calme, j’ai appelé Angéla :

— Angéla, c’est Mary, qu’est ce qui s’est passé à la préfecture ? dis-je d’emblée.

— Mary... je suis désespérée, ils ont refusé le dossier de mon mari, la connasse n’avait pas appelé la préfecture pour dire qu’elle avait changé d’avis, ils ont continué la procédure, après le récépissé d’un mois, c’est l’expulsion... me dit-elle en pleurant.

— Mais ce n’est pas possible ça Angéla ! Elle n’a pas le droit, il est salarié ! Merde ! Je vais la démonter cette conne ! Tu lui as dit que vous n’étiez pas tout seul dans votre coin et que vous étiez aidés dans les démarches ? Tu lui as dit que tu avais pris contact avec un juriste ? Angéla, elle croit que vous allez rentrer bien tranquillement à la maison, elle croit que vous n’allez pas vous défendre et vous laisser faire, fous-lui la trouille ! hurlai-je dans le téléphone, hors de moi.

— Mais non, je n’ai rien pu lui dire Mary, j’ai failli m’évanouir dans son bureau quand elle m’a sorti sa lettre d’expulsion...

— Angéla, si ce n’est pas toi qui lui dis, je vais aller la voir cette folle, je te jure que je vais foutre le bordel dans son putain de bureau !

— Attends Mary, mon mari essaye de me joindre, je te rappelle....

Elle a raccroché aussitôt. Il fallait que je me calme, je m’emportais dans la colère et je n’arrivais plus à contenir mes émotions, je ressentais tellement d’injustice et de racisme, je n’en pouvais plus de cette femme. Elle me mettait dans un état que je ne reconnaissais même pas en moi. Jamais je n’avais été aussi hargneuse, j’étais prête à tout casser dans son bureau. Autant de violence qui remontait de je ne sais où, cela ne me ressemblait pas.

Angéla m’a rappelée en me demandant de la rejoindre en ville, j’avais vingt minutes pour la retrouver, elle devait faire des courses. Je n’avais pas le temps de prendre de douche, j’ai mis des vêtements secs et je suis partie. Je suis arrivée la première devant le magasin qu’elle m’avait indiqué. Comme si je l’avais sentie s’approcher, je me suis retournée et je l’ai vue au loin. Je ne la reconnaissais plus, elle était défigurée par les larmes qui n’avaient cessé de couler, sans maquillage, blanche comme un lavabo, habillée à l’américaine en Lévis, casquette sur la tête. Plongée dans sa tristesse, elle conservait un charme fou.

— Voilà où on en est Mary, je ne sais pas ce qu’on va faire, mais si mon mari part, je pars avec lui... me dit-elle au bout de cinq minutes de silence.

— Je me doute bien... répondis-je désemparée.

— J’ai vu le juriste, on va tenter des recours, mais ça va être long, en attendant il ne pourra pas travailler, je ne m’en sortirai jamais toute seule, j’ai déjà fait les comptes, ce ne sera pas possible. Ça me fait du bien de faire les courses, ça me détend, j’en profite, après je ne pourrai plus acheter tout ça, dit-elle en montrant son chariot. Je n’ai rien mangé ce midi, mais je commence à avoir faim, je vais acheter un sandwich, tu en veux un ?

— Non, merci, je n’ai pas faim...

— Tu es sûre ? Regarde ceux-là ... ils ont l’air bons...

— Non, merci ....

— Tu as l’air carrément blasé... pourquoi tu es comme ça ? me demanda-t-elle naïvement.

— C’est TOI qui me demandes ça ? répondis-je stupéfaite.

— Si tu ne me dis rien, je ne peux pas deviner Mary... dis-moi...

— Tu sais très bien pourquoi je suis blasée.... dis-je en soupirant.

— Non, dis-moi... insistait-elle.

— Angéla arrête s’il te plaît... répondis-je d’une voix étranglée par les larmes qui montaient malgré moi.

L’idée qu’elle risque de quitter la France me déstabilisait complètement, je n’arrivais même pas à exprimer cette douleur, elle se traduisait en colère contre cette fonctionnaire. Nous avons terminé les courses et je l’ai aidée à tout ramener chez elle. En arrivant , elle m’a fait lire la lettre que son mari avait reçue. A la lecture, j’en avais froid dans le dos. Il était considéré comme un moins que rien, un clandestin, un sans-papiers, il était devenu un sans-papiers grâce à l’incompétence de cette femme, ou plutôt à son racisme. Il devait remettre cette lettre à la police des Frontières en partant... J’hallucinais ! Angéla était déjà en train de pleurer avant la fin de ma lecture, elle ne pouvait plus s'arrêter :

— Tu ne vas pas baisser les bras ? demandai-je.

— Ha non ! J’irai jusqu’au bout ! dit-elle d’un ton certain.

— On va remuer la terre entière s’il le faut, je suis prête à écrire au Président, à Sarkosy, à la ligue des droits de l’homme, à l’autre conne de la préfecture, à tout le monde !!

— C’est vraiment un pays de merde Mary ! Je sais que je te blesse quand je dis ça, mais je suis désolée, c’est un pays de racistes, on s’est toujours battu contre ça depuis qu’on est là, tu ne t’imagines même pas... partout !

— Tu sais je comprends ce que tu peux ressentir... le rejet j’ai connu sous une autre forme et je ne me sens pas totalement "intégrée et acceptée" pour ce que je suis dans mon propre pays. Le racisme prend différentes formes. Je ne me sens pas plus française qu’autre chose, pour moi il n’y a pas de nationalité, juste des êtres humains sur la même planète. Dans ma tête et surtout mon cœur, il n’y a jamais eu de frontières, de races ou je ne sais quoi. Je me souviens d’un cours de géographie où l’on apprenait les différents territoires, je ne comprenais pas pourquoi on avait dessiné des lignes sur le globe terrestre pour séparer les gens... à partir de là, la géographie ne m’a pas trop passionnée... d’ailleurs, l’école tout court ne me passionnait pas.

Angéla s’est assise à côté de moi dans le canapé, elle a allumé la télé sur une chaîne de musique, et comme par hasard, elle est tombée sur une chanson qui collait à sa situation. Elle s’est recroquevillée sur elle-même, la tête entre ses mains, elle pleurait en silence. Je me suis approchée, j’ai passé mon bras autour de son cou et j’ai pris sa main dans la mienne. Ma tête contre la sienne, nous avons écouté la fin de la chanson, serrées l’une contre l’autre, ratatinées dans le fond du canapé. D’un seul coup, Angéla s’est levée, elle tournait en rond puis elle me dit :

— Mary... mon mari va bientôt arriver...

— OK... je vais rentrer...

J’ai commencé à prendre mes affaires dans l’intention de partir immédiatement, comprenant bien qu’elle ne voulait pas que je le voie en ce moment et je respectais totalement leur besoin d’intimité.

— Tu sais, il n’est pas bien en ce moment, il n’aime pas qu’on le voie comme ça, on a besoin de se retrouver tous les deux... se justifiait-elle.

— Ne t’inquiète pas... je comprends tout à fait, c’est normal.

Elle n’arrêtait pas de regarder la porte, je la sentais stressée à l’idée que son mari puisse arriver avant mon départ. Sa réaction et son comportement m’interpellaient.

— Prend soin de toi et n’oublie pas que vous n’êtes pas seuls, on se battra avec vous jusqu’au bout, ils ne vous écraseront pas ! lui dis-je en lui tendant la main.

Elle prit ma main entre les siennes et la serra très fort. Je sentais que quelque chose clochait, elle n’était pas naturelle.

— Je vais avoir besoin de vous Mary, je ne sais plus quoi faire.. répondit-elle les larmes aux yeux à nouveau.

— Je te promets qu’on sera tous là, il n’y a pas que moi, je peux te dire que ça va ruer dans les brancards au restaurant quand ils vont savoir ça... dis-je en lui rendant sa main.

 Je ne la sentais pas à l’aise du tout et cela me gênait. J’ai ouvert la porte et on a entendu quelqu’un monter dans l’ascenseur.

— C’est mon mari... me dit-elle paniquée.

Il n’y avait pas de lumière sur le palier, la porte de l’ascenseur s’ouvrit, son mari, surpris de me voir s’avança :

— Bonjour Mary, me dit-il.

— Bonjour Liviu... tu vois, on se croise, j’allais partir...

— Ah bon, tu partais ? Alors à bientôt et bonne soirée Mary...

— A bientôt ... répondis-je en regardant Angéla qui se faisait toute petite à côté de son mari.

Sur le chemin du retour, je me suis posé plein de questions sur le comportement d’Angéla. Avait-elle senti que je réagissais violemment à l’idée qu’on puisse être séparées ? Mes émotions étaient incontrôlables.
Maryline

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