
25 février 2003
Je suis particulièrement émue et touchée ce soir, je viens de recevoir un texto de mon frère Tony. Le simple fait de recevoir des nouvelles est déjà un événement, mais à la lecture de ses mots, mon cœur s’est emballé.
Tony est particulièrement renfermé, voire hermétique, il n’exprime jamais ses émotions et de ce fait peut sembler froid et distant. C’est un jeune homme qui souffre en silence. Il refuse d’aborder le sujet de la maladie de ma mère, une douleur trop insupportable pour lui. Sa souffrance l’a rendu tellement agressif que la famille l’a pris en grippe et l’a rejeté à cause de son comportement inacceptable vis-à-vis de ma mère surtout. Certains sont même allés jusqu’à dire qu’il serait peut-être responsable de la maladie de ma mère... ce qui est bien évidemment faux, mais il fallait trouver un coupable ! Personne n’est coupable. Moi non plus, je n’acceptais pas son attitude parfois odieuse, mais je comprenais que c’était l’unique moyen, pour lui d’ évacuer ses émotions. Il essayait d’attirer l’attention de ma mère par son comportement, il tentait de la faire réagir, personne ne lui avait expliqué pourquoi ma mère était différente. Je savais qu’il était malheureux et je ne voulais pas qu’il se retrouve seul face à ce drame qui nous touchait tous.
J’ai essayé de gagner sa confiance pour garder le contact à tout prix. J’ai remarqué qu’il communiquait beaucoup par texto alors je lui ai envoyé un message lui demandant de me prévenir quand il changerait de portable, pour que je puisse lui envoyer des textos, car il changeait souvent de numéro. Il m’a répondu qu’il avait changé de portable, mais pas de numéro. J’ai voulu entamer une discussion en lui demandant de ses nouvelles, mais cette fois, mon message est resté sans réponse... jusqu’à ce soir où il m’a envoyé une phrase juste pour me dire : "je t’aime très fort, tu me manques"...
Jamais mon frère n’avait exprimé ces quelques mots qui ont complètement chaviré mon cœur en un quart de seconde au point d’en pleurer. J’étais traversée dans tout mon corps par un sentiment d’abandon terrible. Je le sentais tellement mal intérieurement... Ce garçon que tout le monde rejetait pour son agressivité était capable d’aimer, mais personne ne s'en rendait compte, je trouvais cela tellement injuste... Il a fallu qu’il soit retranché dans sa souffrance pour oser dire ces quelques mots. Je suis restée hébétée devant mon portable, les yeux collés à l’écran, accrochés à cet amour.... nous en avions tellement besoin. Je sentais mon cœur battre très fort, d’une intensité démesurée. Je ne pensais même pas lui manquer autant. Il avait mis une telle distance entre nous qu’il m’était bien difficile de l’approcher. Je lui ai répondu sur le même registre, c’était la première fois que je lui disais que je l’aimais. Nous n’avons pas été habitués à exprimer nos sentiments ni nos émotions. J’exprimais mes émotions quand j’étais seule avec moi-même, jamais en public. Nous avons un peu le même tempérament avec mon frère, le même signe zodiacal aussi, sans doute les mêmes blessures profondes. Je ressens sa souffrance comme si c’était la mienne, je fusionne avec lui à ce niveau-là, c’est la raison pour laquelle je n’ai jamais pu lui jeter la pierre sur ses défauts qui pour moi, étaient simplement le reflet de son mal-être. Le rejet amplifie l’agressivité.
En ce moment Angéla m’aide beaucoup à exprimer mes émotions, elle me transmet quelque chose d’important car elle a ouvert mon cœur. Le seul souci c’est que les émotions jaillissent d’un seul coup et que je ne sais pas les canaliser. Je me reconnais si bien dans mon frère, quand on a peur de perdre quelqu’un, le cœur est mis à rude épreuve et nul n’est à l’abri de devenir agressif face à cette douleur. Moi aussi je montre de l’agressivité et de la colère face à cette femme de la préfecture ! Et pourtant, ce n’est pas dans ma nature profonde d’avoir envie de retourner tout un bureau. C’est la souffrance qui transforme notre être, ce sont nos blessures d’abandon qu’il faut apprendre à soigner.
Mon frère a une sensibilité à fleurs de peau, mais elle ne se voit pas dans son comportement. C’est un dur au cœur tendre comme je le dis souvent, comme beaucoup d’hommes finalement. Je l’ai toujours protégé comme si c’était mon enfant, avec 16 ans d’écart, il est certain que notre relation fraternelle peut devenir maternelle dans les moments difficiles surtout. Je reste la seule à pouvoir communiquer avec lui. Il me fait penser à l’enfant sauvage... il est inutile d’aller vers lui pour l’effrayer avec des sujets de conversation qu’il redoute plus que tout, il faut juste lui faire comprendre qu’on est là, le laisser venir, être patient, à l’écoute et lui donner confiance.
Quelques minutes après ce premier message bouleversant ce soir, j’ai reçu un deuxième texto, mais cette fois c’était sa petite amie qui m’écrivait : "Tony pleure, il est très malheureux à cause de votre mère. J’aimerais vous rencontrer, car il m’a beaucoup parlé de vous." J’ai répondu de suite à son amie en lui demandant de prendre soin de mon frère, car je tenais à lui et je savais qu’il souffrait beaucoup. Elle m’a répondu avec son portable à elle en me donnant son numéro de téléphone et en me rassurant : "Ne vous inquiétez pas, il est entre bonnes mains. Votre future belle-sœur."
J’ai compris avec cette signature que mon frère était effectivement aimé et entouré par une jeune fille qui m’inspirait à la fois confiance et maturité. J’étais soulagée de savoir qu’il était enfin soutenu par quelqu’un qui le reconnaissait dans l’amour.
J’étais en repos ce week-end pendant trois jours. J’ai passé l’après-midi d’hier avec mes parents et ma sœur. Mon beau-père était en vacances, sa mère était là aussi, pour ne pas changer. Forcément ma mère n’était pas bien, elle se plaignait de maux d’estomac et déprimait en se demandant quand est-ce que tout cela allait s’arrêter. Elle n’est pas d’accord pour aller en hôpital de jour, elle croit qu’on lui a fait visiter l’hôpital pour aller y travailler !
J’ai repris le travail ce matin, je n’avais pas demandé de nouvelles de tout le week-end et ma directrice adjointe m’en a à moitié fait le reproche. Quand on mélange relation amicale et travail, on doit rendre des comptes sur tous les plans ! Angéla m’avait laissé un mot sur le bureau en me disant qu’elle me sentait très loin en ce moment. Le fait de me mettre à écrire m’incite à entrer dans ma bulle et effectivement je prends de la distance avec tout le reste. Je suis entrée dans mon refuge, ma soupape. De toute façon, Angéla n’est pas très disponible non plus avec ses démarches administratives en cours. Je ressens aussi le besoin de me rapprocher de ma famille. Ma grand-mère ne va pas bien non plus, elle tourne en boucle avec une histoire de voisin qui vient la nuit, lui casser ses poteaux de clôture... Mon oncle Patrice va venir de Paris pour savoir quelle décision il va prendre avec ses frères par rapport à ma grand-mère qui devient dépendante. C’est inquiétant de vieillir...
Maryline
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