
07 février 2003
Angéla a le soutien de nos patrons dans ses démarches et de tous nos collègues. Chacun fait de son mieux pour l’aider que ce soit au niveau administratif ou au niveau de son planning au restaurant pour pouvoir la libérer afin qu’elle puisse aller à ses rendez-vous. Un collègue lui a donné l'adresse d’une association sénégalaise qui connaît bien toutes les procédures pour les travailleurs étrangers, tout le monde était choqué de voir la façon dont leur dossier était traité. Le responsable de l’association a conseillé à Liviu de demander une lettre de promesse d’embauche à son ancien président du club de rugby, car il pourrait toujours travailler en tant qu’entraîneur si jamais le reste ne fonctionnait pas.
Le patron de l’entreprise de vigile où travaillait Liviu actuellement ne comptait pas se séparer de lui, il était prêt à le faire travailler au noir. Il avait gardé une copie de son récépissé de séjour qui l’autorisait de toute façon à travailler jusqu’au 19 février.
08 février 2003
Je rentre d’un dîner où j’étais avec ma sœur, chez mon oncle et ma tante. Nous ne nous étions pas vus depuis longtemps et ils avaient envie de parler de ma mère. Nous étions d’accord pour dire que la maladie s’aggravait et qu’il n’était pas simple de composer avec la mère de mon beau-père qui rembarrait tout le monde pour s’occuper de ma mère alors qu’elles ne s’étaient jamais entendues auparavant. Ma mère ne supportait plus la présence de sa belle-mère. Puis, mon oncle a commencé à me parler de mon petit frère qui, a 17 ans était insupportable, coléreux, irrespectueux, notamment envers ma mère, mais de façon générale, envers tout le monde. Je savais où il voulait en venir et j’ai commencé à voir rouge d’emblée, car il détestait mon frère. Il était devenu la tête de Turc dans la famille parce qu’effectivement, c’était un petit garçon en pleine souffrance face à une maman qui ne pouvait pas s’occuper de lui comme il en aurait eu besoin. Mais avant cela, mon frère avait déjà eu un lourd passé d’enfant dont personne n’était au courant... ce soir-là, je n’avais plus envie de me taire :
— Écoute-moi bien Jean-Paul, mon frère il est comme son père l’a éduqué ! Crois-tu que Guillaume respecte beaucoup de monde dans la famille ? Il n’y a que sa famille qui compte et il ne s’est jamais caché de dire ce qu’il pensait des uns et des autres devant ses enfants. Guillaume n’a jamais pu encaisser sa belle-mère, mon frère ne supporte pas ma grand-mère, ta mère ! Guillaume nous a carrément dit qu’il n’avait jamais pu la voir ! Tu crois qu’il leur a enseigné quoi aux garçons ? Il leur a appris à dénigrer, ce n’est pas apprendre à respecter ça ? Mes deux frères n’ont pas le même caractère et ils n’ont pas eu le même démarrage dans la vie, puisqu’il faut en parler, je vais te dire quelque chose... Tony avait des problèmes de santé quand il était bébé, des otites à répétition qui l’ont d’ailleurs rendu à moitié sourd, il a perdu 20 % de son audition. La nuit, quand il ne voulait pas dormir et qu’il hurlait dans son lit, Guillaume se levait et hurlait comme un fou à en réveiller tout le monde. Il pensait que son fils faisait de la comédie, il finissait par la plaquer dans son lit comme s’il allait l’assommer. Ma chambre était collée à la sienne, j’entendais tout. Bien sûr, il pleurait de plus belle, pauvre petit père... et Guillaume s’énervait encore plus, c’était devenu infernal, j’avais très peur en fait. C’était impossible de se rendormir après un tel cirque ! Une maison de fous ! Une nuit, j’ai vraiment eu peur pour mon frère, j’ai cru qu’il allait le laisser sur le carreau. Je me suis levée, j’ai pris mon frère contre moi et je l’ai emmené dans ma chambre. Je me suis aperçu qu’il hurlait dès qu’il était en position allongée et qu’il s’arrêtait dès qu’il était debout, sauf que ce n’était pas de la comédie, il était épuisé et s’endormait assis ou debout ! J’ai mis trois secondes à me rendre compte de ça ! C’était flagrant qu’il avait mal quelque part. Je me suis calée assise contre le mur, j’ai gardé mon frère debout contre moi, il a fini par s’endormir. Le lendemain, j’ai dit à mes parents qu’il avait quelque chose qui n’était pas normal, qu’il souffrait et ne faisait pas de la comédie. C’est comme ça qu’on s’est aperçu qu’il avait une otite qu’il fallait consulter un ORL. On lui a posé des drains, mais il était trop tard, son audition a été touchée. Il a été embêté avec ces problèmes-là longtemps. Quelque temps plus tard, moi aussi j’ai fait une otite et j’ai pu voir à quel point c’était douloureux quand tu es couché ! Une horreur ! C’est comme si on t’enfonçait une aiguille dans le tympan. J’étais dégoûtée de savoir que mon frère avait tant souffert et qu’en plus il avait été violenté... parce qu’il n’y a pas d’autre mot quand tu secoues un bébé et que tu le plaques dans son lit, c’est d’une violence inimaginable pour lui... j’avais mal pour lui. Une violence cumulée à une autre.
Ensuite, il y a eu des problèmes avec la nourrice, forcément, mon frère ne s’adaptait pas, ma mère a eu du mal à le laisser pour reprendre son travail. Puis, il y a eu l’école, les devoirs et l’impatience de Guillaume, c’était encore un moment de guerre à la maison, tous les soirs. Tony n’a jamais été irrespectueux avec moi, jamais ! Je l’ai gardé bien des fois et je n’avais pas de soucis avec lui, il fallait juste être patient... Les enfants ressentent tout et épongent tout. Si tu es agressif, il sera agressif ! Guillaume renvoyait sa colère sur son fils, il en a récolté les fruits. Tony sent les gens qui ne sont pas sincères avec lui, qui ne sont pas authentiques. Il sait à qui il a affaire, tu ne peux pas tricher avec lui. Alors évidemment, aujourd’hui, beaucoup sont surpris par son attitude... moi non, elle est d’une logique implacable. C’est un gamin qui souffre dans son coin parce qu’il a peur de perdre sa mère. Quand on a peur, on devient agressif. Guillaume a mis un temps fou à expliquer à mes frères que ma mère était malade. Il ne voulait rien leur dire, comme s’ils ne se rendaient pas compte que quelque chose clochait ! Tony est le plus jeune d’entre nous, j’ai 16 ans de plus que lui. Il entrait dans l’adolescence au moment où sa mère est tombée malade. C’est un gamin à qui on n’a jamais donné de repère, de limite, il s’est éduqué tout seul. Quand on ne vit pas avec les gens, on ne sait jamais ce qui se passe derrière chaque porte fermée. Vous ne voyez qu’une partie de l’iceberg... En ce qui me concerne, je ne lui ai jamais jeté la pierre parce que je sais ce qu’il a vécu et enduré, on lui a transmis la violence dès ses premiers mois, elle a été banalisée. Il aurait pu devenir pire que ce qu’il est aujourd’hui... Parce qu’on fond de lui, il n’est pas méchant, il souffre, c’est différent. Moi je ressens cette souffrance dans mes tripes depuis son plus jeune âge, depuis toujours. Même si je ne suis pas toujours d’accord avec son attitude envers les uns, les autres, jamais je ne le laisserai tomber parce que je sais au plus profond de moi-même qu’il va avoir besoin de moi et en ce moment, il est bien seul... Son père ne s’assume pas lui-même, comment veux-tu qu’il assume ses garçons ? Quand maman sera partie, nous n’aurons plus de nouvelle de Guillaume. Il considère sa femme comme un boulet, il ne l’a jamais respectée non plus d’ailleurs, pourquoi son fils aurait-il du respect ? On ne peut pas transmettre des valeurs que nous n’appliquons pas nous-mêmes. Le dialogue est difficile avec Tony en ce moment, même pour moi parce qu’il se renferme sur lui-même. Mais je veux qu’il sache que je tiens à lui...
Lorsque je me suis arrêtée de parler, c’est comme si le temps s’était arrêté lui aussi. Plus personne n’avait rien à rajouter, il n’y avait rien à dire. Mon oncle m’avait écoutée sans m’interrompre, c’était déjà pas mal. Je ne supporte pas que ma famille rejette mon frère. Ils ne s’imaginent pas ce qu’il vit au quotidien, ils ne savent pas, ils ne peuvent pas comprendre. J’étais décidée à ne plus me taire, je n’avais rien à perdre. Je suis entrée dans une démarche de vérité, pas dans une démarche de vengeance. Je veux remettre les choses à leur juste place, que chacun reprenne ses propres responsabilités dans son histoire personnelle et familiale. J’écris pour me soulager émotionnellement, je publierai peut-être pour partager mon expérience de l’impact des intentions négatives sur notre vie et celle des autres. En résumé, c’est mon objectif...
Maryline
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