
04 février 2004
Je sens le printemps approcher timidement, j’ai envie de faire du rangement, je suis en vacances, c’est le moment ! J’ai envie de créer aussi, de peindre à l’aquarelle, mais je ne sais pas dessiner. La peinture m’attire, mais je n’arrive pas à m’y mettre.
J’aimerais aussi reprendre très sérieusement mon premier manuscrit, le réécrire, le corriger, reformuler les phrases, choisir de meilleurs mots. J’ai déjà rangé mon bureau de telle sorte que je puisse travailler facilement, tous mes documents sont à portée de main, tout ce qui végétait depuis plusieurs années est jeté à la poubelle. Je ressens un réel besoin d’avancer dans ma vie.
J’ai comme la sensation d’avoir fait le deuil de ma mère, non pas en tant que mère, mais en tant que personne qu’elle était et qu’elle n’est plus. J’ai fait le deuil de sa personnalité et j’ai appris à accepter une autre personnalité, une autre facette.
Je sors de mon hibernation psychologique, je vais donc pouvoir avancer à grands pas. Les jours commencent à rallonger sensiblement, le soleil fait de timides apparitions, les températures augmentent un peu, je me sens revivre. Nous ne sommes qu’en février, mais le printemps est en bonne voie.
Je suis allée rendre visite à ma grand-mère aujourd’hui. J’ai déjeuné avec elle, nous sommes allées faire ses courses et j’en ai profité pour l’emmener au cimetière, sur la tombe de mon grand-père, car elle se demandait si les fleurs qu’elle avait déposées à Noël étaient restées sur la tombe. Je vais rarement au cimetière, quand j’y vais c’est que ce n’est pas bon signe. Les pots de fleurs étaient tombés et ma grand-mère fut catastrophée quand elle s’est aperçue qu’on lui avait volé un bouquet de fleurs séchées. Les gens n’ont plus de respect pour quoi que ce soit même dans les cimetières.
D’un seul coup, j’ai vu ma grand-mère faire le signe de croix et croiser ses mains devant elle. J’ai compris qu’elle allait prier même si je ne connais rien aux signes religieux, celui-là est évocateur. J’ai attendu en silence, le deuxième signe de croix m’a indiqué qu’elle avait fini et que nous pouvions repartir. Mais avant de prendre la sortie, elle voulait voir la tombe de ma tante, décédée deux ans plus tôt. Elle était près de celle de mon grand-père, une allée plus loin. Tous les pots de fleurs étaient renversés et fanés. Mon oncle devait mettre une pierre tombale, mais il n’y avait rien pour l’instant, c’était triste, mais en même temps, c’est un cimetière...
J’ai raccompagné ma grand-mère chez elle et je suis allée voir ma mère dans la foulée. Comme d’habitude, je l’ai trouvée dehors, dans le jardin, appuyée à la barrière. Elle tenait une feuille dans ses mains et elle pleurait. Je suis descendue de voiture, j’ai ouvert la barrière et je l’ai embrassée :
— Qu’est-ce qui t’arrive ? demandai-je.
— Oh si tu savais, il faut que j’en parle à Guillaume...
— Dis-moi, qu’est-ce qui se passe ?
Et comme d’habitude, il n’y avait aucune explication à ses pleurs sauf peut-être dans sa tête. Elle me montra les feuilles de papier, c’était le CV de mon jeune frère. Je ne sais pas ce qu’elle faisait avec ce CV... Je l’ai fait entrer dans la maison, j’ai fait chauffer un petit café et elle s’est calmée. J’ai remarqué que la chienne de mes parents avait les poils coupés sur ses pattes et devant ses yeux :
— Vous avez coupé les poils de la chienne ?
— Oui, c’est moi qui ai fait ça répondit ma mère.
— Ah ! C’est toi ? Elle est belle comme ça hein ? Tu lui as fait une coupe d’été... en plein hiver...
— Bah oui, elle avait trop de poils !
— Hum... je comprends bien...
Mes parents n’ont jamais touché aux poils de la chienne, d’où ma surprise. De temps en temps, ma mère se remettait à pleurer, puis elle s’arrêtait. Je remarquai ses mains qui tremblaient beaucoup, son bras aussi et jusqu’à son cou. J’ai profité d’un moment où elle était partie dans le jardin pour regarder les papiers qui traînaient dans la bibliothèque. J’ai trouvé une ordonnance avec quatre médicaments inscrits, dont deux que je ne connaissais pas. Je suis allée ouvrir le placard où se trouvaient ses médicaments, j’ai ouvert le sac et j’y ai trouvé l’un des deux. J’ai regardé la notice : antiépileptique. Je suis restée scotchée sur ce mot, c’était ce que j’appréhendais... les épilepsies. Tout de suite, je repensais à mon ami Gilles et à Léa bien évidemment. Ce regard vide que je voyais chez ma mère existait chez Gilles aussi. Tout le film se déroulait dans ma tête. Du jour où Gilles a commencé à faire ses crises d’épilepsie, les problèmes se sont enchaînés assez vite au niveau neurologique. Il a perdu l’usage de la parole, l’usage de ses jambes, il avait des crampes, il souffrait atrocement.
À chaque fois que je vois ma mère, je pense à Gilles. J’ai quitté l’association Aides pour ne plus vivre ces cauchemars, mais la vie me rattrape autrement. Il ne sert à rien de fuir. Gilles et les autres m’ont préparée à accepter la mort de ceux que j’aime. Je les remercie tous pour ce chemin difficile que nous avons parcouru ensemble, ils m’ont beaucoup appris, mais il n’en reste pas moins que c’est toujours une épreuve de perdre ceux qu’on aime même si je sais pertinemment que dans certains cas, la mort peut aussi être un soulagement. Vivre c’est notre but sur Terre, mais dans quelles conditions ? Quand j’étais jeune je voulais mourir, la vie a mis sur mon chemin, des gens condamnés qui eux, voulaient vivre... J’ai bien compris que je n’étais pas à plaindre... J’ai bien intégré le fait que même si la vie peut nous sembler difficile parfois, elle a le mérite d’être vécue, à nous de faire en sorte de ne pas la gâcher, c’est un cadeau, à nous d’en prendre soin.
Le destin m’aurait préparée à vivre cette épreuve avec ma mère sans que je m’en rende compte. Rien ne se passe au hasard, les rencontres sont toujours faites pour nous aider à avancer dans la vie.
J’ai eu du mal à quitter ma mère ce soir. Je n’arrête pas de penser à ce fichu médicament, nous avons encore franchi une étape vers la déchéance. La prescription était pour tous les repas, je me demandais si c’était une prévention ou si ma mère avait déjà fait des crises, je m’étonnais de ne pas avoir eu d’échos de la part de mes frères. Je lui ai donné un café alors qu’il faut éviter tous les excitants chez les épileptiques... si j’avais su ! Si Guillaume nous tenait au courant ! Il me met en colère encore une fois. Ma mère pleure souvent, et elle n’arrête pas de dire « ne peux plus.... », mais « ne peut plus » quoi ? Personne ne sait, on peut juste imaginer qu’elle ne peut plus faire grand-chose... Elle est dans son monde, souvent dans le passé et il est très difficile d’y entrer. Souvent, elle me demande des nouvelles de mon père comme si j’avais toujours gardé contact, il est décédé depuis deux ans.
En faisant le deuil de la personnalité de ma mère, c’est comme si je coupais une deuxième fois le cordon. C’est aussi une partie de moi qui s’en va, mon enfance, mon adolescence... peut-être qu’après je pourrai grandir et devenir enfin adulte. Plus je vieillis, plus je pense à la Bretagne, plus j’ai envie de changer de travail, plus le domaine culturel et en particulier, le domaine des livres m’attire irrésistiblement.
Quand je me projette dans l’avenir, je me projette seule. L’ambiance avec Sophie n’est pas du tout idéale, elle est agressive envers moi, elle me consacre peu de temps, les tensions sont trop palpables. J’ai débarrassé toutes les affaires que j’avais laissées chez elle. Je n’ai pas envie d’être son souffre-douleur, j’ai besoin de paix et de tranquillité.
Maryline
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