
21 octobre 2004
Sept mois ont passé sans que j’écrive. J’ai acheté un petit carnet pour pouvoir le laisser dans mon sac et écrire n’importe où, ou presque. Il m’arrive souvent d’avoir envie d’écrire certaines réflexions et de ne pas pouvoir le faire si je ne suis pas chez moi. J’ai collé une photo de phare sur la couverture, un phare breton, pas celui qui se mange, celui qui est au milieu de l’océan ! J’adore les phares, il représente la solitude au milieu de la tempête, l’éclaireur qui empêche les gens de s’échouer, la force face au vent et aux vagues déferlantes, la droiture, quel que soit le temps.
J’ai vu ma mère aujourd’hui, j’étais seule avec elle. Elle était allongée sur le canapé, elle ne parle plus, elle chuchote parfois. Elle s’est a jamais réfugiée dans son silence. Elle réagit toujours aux gestes brusques et aux cris. Moi non plus, je n’aime pas entendre les gens crier ou s’agiter dans tous les sens.
14 décembre 2004
Sophie est partie travailler sans m’envoyer de message, ce n’est pas son habitude, et comme je ne suis pas en forme, je me pose des questions. Les projets de couple semblent impossibles...
Je suis allée rendre visite à ma mère hier et j’ai eu la désagréable surprise de voir un lit médicalisé installé dans la chambre du rez-de-chaussée. Elle ne peut plus monter à l’étage, désormais elle dormira en bas, dans mon ancienne chambre.
Elle était très fatiguée hier soir et dans un soupir je l’ai entendu murmurer :" je veux partir... » Cette phrase tourne en boucle dans ma tête depuis hier soir. Je sais que ma mère est en train de vivre ce qu’elle ne souhaitait surtout pas. Je sais qu’elle aimerait qu’on intervienne pour mettre fin à ce cauchemar. Je sais à quel point elle peut être en souffrance dans ces moments de lucidité. Je sais.... et je me sens impuissante ! Ces mots prononcés de sa bouche quelques années auparavant, alors qu’elle était en très bonne santé, me reviennent sans cesse :" si un jour je deviens un légume, il faudra m’aider à partir, je ne veux être une charge pour personne, j’ai prévenu le médecin. » J’ai bien entendu cette demande encore hier soir et j’en suis malade...
26 décembre 2004
Ma chère Maman,
Encore un Noël passé sans toi... Aujourd’hui, toute la pression de la semaine retombe, je n’ai pas du tout le moral. Je pense beaucoup à toi, à ce que tu as dit la dernière fois qu’on s’est vu. Tu veux « partir », mais moi je ne suis pas prête à te laisser partir, je n’ai pas envie d’entendre ça, je ne suis pas pas prête à vivre ton absence. Cette phrase me hante depuis une semaine, je ne dors pas beaucoup, je fais des cauchemars, et là, je suis fatiguée de ces fêtes de fin d’année. J’ai passé le réveillon chez moi, ma sœur était chez elle, ma grand-mère chez elle aussi, chacune seule chez soi.... Joyeux Noël à tous !
Le cœur n’est pas à la fête, j’ai quand même fait un repas aujourd’hui avec ma sœur et mes frères, leurs amies respectives et Sophie. Je l’ai fait pour mes frères. C’est trop dur. Je ne veux plus entendre parler de Noël...
14 janvier 2005
Ma chère Maman,
Une nouvelle commence, cela fait cinq ans que je te regarde perdre tous tes moyens. Tu as perdu tes facultés intellectuelles et là, tu es en train de perdre tes facultés physiques. Tu ne peux plus monter à l’étage, nous t’avons installé un lit médicalisé au rez-de-chaussée. Tu ne peux plus monter dans la baignoire, Guillaume a acheté un bac comme chez les coiffeurs pour pouvoir te laver les cheveux.
Hier je t’observais, tu t’es levée pour marcher, tes jambes ne te soutiennent plus, bientôt ce sera le fauteuil roulant... Nous ne pouvons plus communiquer, seuls nos regards se croisent et se parlent de temps en temps. Le tien est vide, transparent et brillant. Je te rends visite une fois par semaine et je reviens chez moi avec l'angoisse de te perdre, je n’avais pas prévu que cela arriverait si tôt, je n’arrive pas à m’y faire.
Assise à côté de toi dans le canapé, j’ai posé ma main sur la tienne, tu l’as prise et tu l’as serrée. Ta main était tellement chaude... nous avons eu tellement peu de contact physique qu’à chaque fois, je suis surprise par tes gestes. Peut-être que c’est moi qui étais « sauvage », peut-être que c’est toi qui n’étais pas tactile, je ne sais pas, quoi qu’il en soit, les barrières tombent un peu trop tard...
Depuis quelques mois, je n’ai plus envie de partager tout ça avec mon entourage, je n’appelle plus mes oncles et tantes. Je préfère aller te voir seule aussi. La vie me semble tellement superficielle. Je me sens seule et j’ai envie de rester seule parce que les gens ne peuvent pas comprendre l’état d’esprit dans lequel je me trouve. Quand on n’a pas vécu cette épreuve, cette souffrance, on ne peut pas comprendre. Même si en société, je mets le masque de la bonne humeur, à l’intérieur de moi, je suis meurtrie, dévastée par la vie.
De l’extérieur, les gens voient « Mary qui rit » et ne se rendent pas compte qu’à l’intérieur Mary pleure. Mon cœur est triste, mon âme est écorchée, j’ai endossé une double personnalité, le personnage public passe-partout, et le personnage intérieur, authentique dans ce qu’il vit. Ta fille frôle la schizophrénie en conscience... C’est sans doute une question de survie. Ma personnalité privée ne se dévoile forcément que lorsque je suis seule, et elle s’exprime quand j’écris. Elle exprime ses tortures morales, elle laisse s’échapper les larmes qu’elle retient en public.
Quand Mary travaille, elle endosse une tenue qui la rend forte : pantalon, chemise, cravate... on ne peut rien trouver de plus droit avant l’uniforme ! Ce costume me sert de bouclier, je me sens intouchable quand je le mets. On dit que l’habit de fait pas le moine, j’en suis convaincue, mais il donne une image que l’extérieur respecte ou pas... cela suffit à me protéger et à me rendre forte. C’est un peu comme s’il transformait mon énergie. Je peux ainsi endosser un rôle commercial quelques heures par jour. Je me déguise pour jouer un rôle dans un restaurant, une pièce de théâtre, ni plus, ni moins.
Même si je ne laisse rien transparaître, certaines personnes comme Sophie sont sensibles à ce que je ne montre pas. Mes angoisses non exprimées la rendent nerveuse et autoritaire. Elle ne supporte pas de ressentir des choses qu’elle ne maîtrise pas et surtout, qui ne lui appartiennent pas... mais sait-elle au moins qu’elle éponge ce qui ne lui appartient pas ? Je ne pense pas...
Ma chère maman, tu es une partie de ma vie que je garde pour moi et que je ne partage qu’avec mon stylo et mon carnet. Avant que tu nous quittes complètement, il faudrait que j’arrive à te dire que je t’aime...
Maryline
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