
10 mai (suite 2)
Le soir du 30 avril, comme toutes les fins de mois, je faisais l’inventaire au restaurant avec Vanessa. Karine est arrivée en fin d’après-midi chez ma sœur, il était convenu qu’elles viendraient me chercher à la sortie du travail, très tard puisqu’il était aux alentours de minuit. Je ne m’attendais pas à avoir la surprise de voir Sophie accompagner ma sœur et Karine, car je savais qu’elle travaillait très tôt le lendemain matin. Nous sommes montées dans la voiture de ma sœur, j’étais à l’arrière avec Sophie qui était serrée contre moi, car nous étions trois avec mon amie du Morbihan Anne, qui était venue aussi en week-end. Je n’avais jamais été aussi proche de Sophie, nous étions collées ! J’avais la sensation d’être dans un cocon... Je sentais mon corps se détendre après une journée harassante, j’étais juste merveilleusement bien. Le regard de Sophie transperçait le mien dans la pénombre, j’étais bouleversée par ce que je ressentais de si doux.
Arrivées en bas des immeubles, Sophie n’a pas traîné, car elle se levait à 5 h, elle est rentrée directement chez elle. C’était pratique d’habiter toutes dans le même quartier, ma sœur était dans l’immeuble contigu au mien. Il était convenu que Sophie nous rejoindrait le lendemain après son travail pour passer l’après-midi avec nous, elle terminait à 14 h.
Nous nous sommes couchées très tard, car nous avons discuté une bonne partie de la nuit avec Karine et Anne qui dormaient dans mon canapé. Le lendemain, quand Sophie est arrivée peu après 14 h, nous n’avions pas encore déjeuné, elle a donc profité des excellents paninis que Karine était en train de nous préparer. L’après-midi est évidemment très vite passée et nous étions invitées chez ma sœur le soir même pour une soirée raclette. Sophie était bien entendu des nôtres. Pendant l’apéritif, nous étions assises l’une à côté de l’autre dans le canapé, comme si nous étions aimantées, nos corps ne se décollaient plus ! Je n’arrivais pas à garder une distance respectable et visiblement Sophie n’en avait pas envie non plus, nous étions bien comme ça. Je sentais comme une bulle invisible qui nous entourait, nous n’avions pas envie d’en sortir. Sophie me semblait tellement accessible que j’étais déstabilisée, je ne ressentais absolument aucune barrière et c’est justement la fameuse "faille" dont parlait Karine qui m’attirait de toutes ses forces. Alors que nous étions toutes assises autour de la petite table du salon, Karine nous dit d’un seul coup :
— Bon, les filles, on va faire un petit tour de table sur une question de société, j’aimerai que chacune d’entre vous réponde le plus honnêtement possible...
— Vas-y, pose ta question, je sens que ça va être palpitant, dis-je en sentant arriver la grosse blague.
— Alors dîtes-moi si vous avez déjà eu des relations homosexuelles et si non, pensez-vous pouvoir en avoir si l’occasion se présentait.
— Bon, bah déjà je suis hors jeu... répondis-je embarrassée par cette question qui était là pour tester le terrain avec Sophie.
— Toi tu écoutes les réponses Mary, c’est important, nous représentons les femmes de cette société, je fais un sondage, dit-elle en riant.
J’avais bien compris qu’elle voulait m’éclairer la route, mais c’était tellement gros que j’étais gênée pour Sophie, je n’osais même pas la regarder. Chacune a répondu, réfléchissant si elles pourraient avoir ce genre d’expérience ou pas, puis vint le tour de Sophie qui après un temps d’hésitation dit :
— Alors non, je n’ai pas eu de relation avec une femme, c’est donc l’inconnu pour moi et si l’occasion se présentait ... pourquoi pas ? Je ne sais pas ce que c’est donc je ne peux pas dire que je ne pourrai pas...
J’ai vu le regard et le sourire de Karine se tourner furtivement vers moi. Je ne pouvais même pas soutenir son regard, les mots de Sophie résonnaient dans mon cœur. Je mourrai d’envie de me retrouver seule avec elle. Ma sœur et Sophie se sont levées pour préparer les plats pour la raclette, elles étaient dans la cuisine lorsque Karine est venue vers moi. J’étais assise dans un fauteuil, elle est venue s’installer sur mes genoux, face à face en posant ses deux mains sur les accoudoirs du fauteuil, elle me regarda droit dans les yeux, le sourire jusqu’aux oreilles, prête à éclater de rire :
— T’es vraiment une glandue ! Qu’est ce que tu attends ? me demanda-t-elle tout bas... C’est clair maintenant, tu peux tenter ta chance sans te ramasser une claque non ? Qu’est ce qu’il te faut de plus ? continua-t-elle.
— T’es marrante toi ! Laisse-moi du temps, je ne vais pas lui sauter dessus là ce soir ! répondis-je mal à l’aise.
Il était grand temps de passer à table. Durant tout le repas, le regard de Sophie assise en face de moi accrochait fréquemment le mien, elle me faisait craquer. Dès que la raclette a été terminée, nous nous sommes de nouveau installées dans le canapé, côte à côte, nous étions indécollables... Nos mains étaient de plus en plus indisciplinées, nos yeux s’accrochaient en silence. Nous avions besoin de contact physique.
La séparation en fin de soirée a été plus difficile pour moi. Karine continuait à me rassurer et à m’encourager à aller au bout de ce que je ressentais. Elle disait que Sophie m’avait dévorée des yeux toute la soirée, que pour elle, c’était flagrant qu’elle était attirée. J’ai eu énormément de mal à m’endormir, je ne pensais qu’à elle, elle me manquait déjà, je sentais un vide. Ma tête a pris le dessus dans des questionnements à n’en plus finir : et si je me faisais des films ? Et si elle cherchait une simple expérience ? Une aventure ? Et si elle était comme Angéla, juste de nature très affectueuse ? Et si elle avait juste un besoin d’affection après la séparation d’avec son compagnon ? Et si j’étais une fois de plus la roue de secours, qui s’empresse de rétablir un équilibre émotionnel ? Et si.. Et si ... et si ... Je n’en finissais plus de trouver des questions sans réponse. Et si c’était tout ça et bien tant pis, je me sentais incapable de résister à la tentation. Vivre les choses en conscience c’est déjà se responsabiliser face aux conséquences. J’ai fini par m’endormir avec son image dans la tête, son regard, son sourire, sa douceur, sa chaleur, sa tendresse...
Le dimanche Sophie travaillait comme la veille jusqu’à 14 h et elle devait ensuite partir à Dieppe pour ses jours de repos, chez une amie qui l’avait invitée. De notre côté, nous nous étions levées tard et du coup nous avions décidé d’aller déjeuner au restaurant où je travaille. Nous étions en train de faire la queue, il y avait un monde fou en ce week-end de 1 er mai, mon collègue a encaissé ma commande et mon portable sonna. Il s’est coupé aussitôt, car le réseau était très mauvais. J’ai sorti mon téléphone de mon sac et j’ai écouté le message en regardant Karine :
— C’est qui ? me demanda-t-elle sourire aux lèvres.
— Devine ? Sophie essaye de nous joindre... Attends-moi là, je vais passer dans le bureau des managers pour rappeler du fixe, j’arrive !
— Hé bé dis donc.... File je t’attends... répondit-elle en riant.
Je lui ai laissé le plateau entre les mains et je suis passée de l’autre côté du comptoir pour aller téléphoner du bureau. Son portable ne répondait pas, son fixe non plus. J’ai laissé un message sur le portable pour lui dire où nous étions au cas où... sachant quand même qu’elle devait partir pour Dieppe. Mais j’avais tellement envie de la voir... Mon cœur s’emballait, je devenais folle à l’idée d’avoir raté l’appel. J’ai rejoint Karine qui m’emmena jusqu’à la table où les filles nous attendaient. Ma sœur était au téléphone, j’ai compris que Sophie avait essayé de la joindre et qu’elle allait nous retrouver. Je contenais mon enthousiasme. Quand ma soeur raccrocha son téléphone, je n’ai pas pu m’empêcher de la presser de nous donner les nouvelles :
— Alors ? Elle nous rejoint ? Elle ne part plus à Dieppe ?
— Son sac n’est pas prêt, elle n’a pas l’air décidée à partir... elle veut nous voir avant d’aller à Dieppe, elle arrive...
Karine me lançait des regards qui en disaient long, nous nous parlions en silence. Tout le monde était installé et il restait une place vide qui attendait Sophie, juste à côté de moi... comme par hasard...
Elle a fait vite à arriver ! Elle a embrassé tout le monde, je fondais au contact de la douceur de sa joue contre la mienne. Elle s’est assise et tout de suite, j’ai senti son genou venir se coller contre ma cuisse. Je n’osais plus bouger, le message devenait très clair. Personne ne voyait ce qui se passait sous la table, j’étais comme pétrifiée, nous étions sur mon lieu de travail, ce n’était pas l’endroit idéal pour se lâcher, juste sous le nez d’une caméra ! Je n’osais plus bouger d’un centimètre.
Je pensais que Sophie avait déjeuné avant de venir, car elle avait juste pris un café. Et en fait non, elle m’expliqua après en marchant dans les rues piétonnes de la ville :
— Je n’ai rien pu avaler ce midi, je me sentais bizarre...
— Ah bon ? Qu’est-ce qui t’arrive ? demandai-je.
— Je ne sais pas...
— Tu es perturbée... dis-je en souriant.
— On peut dire ça comme ça, je suis même carrément perturbée !
— Comment ça se fait ? demandai-je.
— Je ne sais pas... j’ai oublié mon téléphone à la maison...
— Mais tu ne devais pas partir à Dieppe ? Pourquoi tu n’es pas partie plus tôt ?
— Je n’avais pas envie de partir... j’avais envie d’être avec vous... ça tombe vraiment mal que j’ai prévu quelque chose ce week-end ! dit-elle d’un air déçu.
— Tu ne peux pas dire que tu ne peux pas venir ? Que tu as un empêchement... dis-je en riant.
— Bah non, et il faut que je l’appelle pour dire que je vais être très en retard...
— En plus, c’est bête tu n’as pas ton téléphone...
— Oui, ça m’énerve, il va falloir que je repasse à la maison.
Nous avons trouvé une cabine téléphonique, elle a pu prévenir son amie qu’elle arriverait en fin de journée. Je sentais l’attirance de plus en plus forte, nous n’avions pas envie de nous quitter. Nous avons pris un dernier verre en terrasse avant que Sophie reprenne le métro. Je lui ai dit que je n’avais pas envie qu’elle parte, elle m’a répondu que c’était réciproque. Nous nous sommes données rendez-vous pour le lendemain matin à Dieppe, car nous ne travaillions pas le lundi. De retour chez ma sœur après avoir quitté Sophie en bas de chez elle, un grand vide s’était installé en moi. C’était terrible... Mon portable se mit à sonner une heure après :
— Oui ?
— C’est moi ... je t’appelle pour te dire que je suis bien arrivée... je me suis perdue en route, je ne sais pas comment j’ai pu faire pour me perdre...
— Ah oui, pas facile de se perdre pour aller à Dieppe...
— Tu me manques... dit-elle timidement.
— Toi aussi...
— Cool... je ne vais pas rester trop longtemps, tu n’es pas seule et j’appelle de chez ma copine... on se voit demain de toute façon...
— Oui, à demain...
J’ai raccroché et j’ai senti tous les regards plantés sur moi :
— C’était Sophie... elle est bien arrivée... dis-je embarrassée.
— Bah... elle aurait pu appeler sur mon portable ! répondit ma sœur.
— Heu... oui.. Je ne sais pas pourquoi elle m’a appelée.... dis-je naïvement.
Je sentais que ma sœur se posait des questions, elle voyait bien que j’étais absente. Karine était repartie, car elle travaillait le lendemain. Je lui ai envoyé un message pour lui dire qu’elle avait raison depuis le début, la faille était bien réelle. J’avais hâte d’aller à Dieppe....
Maryline