29 septembre 2017

La faille m'attire

Coeur, Amour, Isolé, Rouge, Romantique


10 mai (suite 2)

Le soir du 30 avril, comme toutes les fins de mois, je faisais l’inventaire au restaurant avec Vanessa. Karine est arrivée en fin d’après-midi chez ma sœur, il était convenu qu’elles viendraient me chercher à la sortie du travail, très tard puisqu’il était aux alentours de minuit. Je ne m’attendais pas à avoir la surprise de voir Sophie accompagner ma sœur et Karine, car je savais qu’elle travaillait très tôt le lendemain matin. Nous sommes montées dans la voiture de ma sœur, j’étais à l’arrière avec Sophie qui était serrée contre moi, car nous étions trois avec mon amie du Morbihan Anne, qui était venue aussi en week-end. Je n’avais jamais été aussi proche de Sophie, nous étions collées ! J’avais la sensation d’être dans un cocon... Je sentais mon corps se détendre après une journée harassante, j’étais juste merveilleusement bien. Le regard de Sophie transperçait le mien dans la pénombre, j’étais bouleversée par ce que je ressentais de si doux.

Arrivées en bas des immeubles, Sophie n’a pas traîné, car elle se levait à 5 h, elle est rentrée directement chez elle. C’était pratique d’habiter toutes dans le même quartier, ma sœur était dans l’immeuble contigu au mien. Il était convenu que Sophie nous rejoindrait le lendemain après son travail pour passer l’après-midi avec nous, elle terminait à 14 h.

Nous nous sommes couchées très tard, car nous avons discuté une bonne partie de la nuit avec Karine et Anne qui dormaient dans mon canapé. Le lendemain, quand Sophie est arrivée peu après 14 h, nous n’avions pas encore déjeuné, elle a donc profité des excellents paninis que Karine était en train de nous préparer. L’après-midi est évidemment très vite passée et nous étions invitées chez ma sœur le soir même pour une soirée raclette. Sophie était bien entendu des nôtres. Pendant l’apéritif, nous étions assises l’une à côté de l’autre dans le canapé, comme si nous étions aimantées, nos corps ne se décollaient plus ! Je n’arrivais pas à garder une distance respectable et visiblement Sophie n’en avait pas envie non plus, nous étions bien comme ça. Je sentais comme une bulle invisible qui nous entourait, nous n’avions pas envie d’en sortir. Sophie me semblait tellement accessible que j’étais déstabilisée, je ne ressentais absolument aucune barrière et c’est justement la fameuse "faille" dont parlait Karine qui m’attirait de toutes ses forces. Alors que nous étions toutes assises autour de la petite table du salon, Karine nous dit d’un seul coup :

— Bon, les filles, on va faire un petit tour de table sur une question de société, j’aimerai que chacune d’entre vous réponde le plus honnêtement possible...
— Vas-y, pose ta question, je sens que ça va être palpitant, dis-je en sentant arriver la grosse blague.
— Alors dîtes-moi si vous avez déjà eu des relations homosexuelles et si non, pensez-vous pouvoir en avoir si l’occasion se présentait.
— Bon, bah déjà je suis hors jeu... répondis-je embarrassée par cette question qui était là pour tester le terrain avec Sophie.
— Toi tu écoutes les réponses Mary, c’est important, nous représentons les femmes de cette société, je fais un sondage, dit-elle en riant.

J’avais bien compris qu’elle voulait m’éclairer la route, mais c’était tellement gros que j’étais gênée pour Sophie, je n’osais même pas la regarder. Chacune a répondu, réfléchissant si elles pourraient avoir ce genre d’expérience ou pas, puis vint le tour de Sophie qui après un temps d’hésitation dit :

— Alors non, je n’ai pas eu de relation avec une femme, c’est donc l’inconnu pour moi et si l’occasion se présentait ... pourquoi pas ? Je ne sais pas ce que c’est donc je ne peux pas dire que je ne pourrai pas...

J’ai vu le regard et le sourire de Karine se tourner furtivement vers moi. Je ne pouvais même pas soutenir son regard, les mots de Sophie résonnaient dans mon cœur. Je mourrai d’envie de me retrouver seule avec elle. Ma sœur et Sophie se sont levées pour préparer les plats pour la raclette, elles étaient dans la cuisine lorsque Karine est venue vers moi. J’étais assise dans un fauteuil, elle est venue s’installer sur mes genoux, face à face en posant ses deux mains sur les accoudoirs du fauteuil, elle me regarda droit dans les yeux, le sourire jusqu’aux oreilles, prête à éclater de rire :

— T’es vraiment une glandue ! Qu’est ce que tu attends ? me demanda-t-elle tout bas... C’est clair maintenant, tu peux tenter ta chance sans te ramasser une claque non ? Qu’est ce qu’il te faut de plus ? continua-t-elle.
— T’es marrante toi ! Laisse-moi du temps, je ne vais pas lui sauter dessus là ce soir ! répondis-je mal à l’aise.

Il était grand temps de passer à table. Durant tout le repas, le regard de Sophie assise en face de moi accrochait fréquemment le mien, elle me faisait craquer. Dès que la raclette a été terminée, nous nous sommes de nouveau installées dans le canapé, côte à côte, nous étions indécollables... Nos mains étaient de plus en plus indisciplinées, nos yeux s’accrochaient en silence. Nous avions besoin de contact physique.

La séparation en fin de soirée a été plus difficile pour moi. Karine continuait à me rassurer et à m’encourager à aller au bout de ce que je ressentais. Elle disait que Sophie m’avait dévorée des yeux toute la soirée, que pour elle, c’était flagrant qu’elle était attirée. J’ai eu énormément de mal à m’endormir, je ne pensais qu’à elle, elle me manquait déjà, je sentais un vide. Ma tête a pris le dessus dans des questionnements à n’en plus finir : et si je me faisais des films ? Et si elle cherchait une simple expérience ? Une aventure ? Et si elle était comme Angéla, juste de nature très affectueuse ? Et si elle avait juste un besoin d’affection après la séparation d’avec son compagnon ? Et si j’étais une fois de plus la roue de secours, qui s’empresse de rétablir un équilibre émotionnel ? Et si.. Et si ... et si ... Je n’en finissais plus de trouver des questions sans réponse. Et si c’était tout ça et bien tant pis, je me sentais incapable de résister à la tentation. Vivre les choses en conscience c’est déjà se responsabiliser face aux conséquences. J’ai fini par m’endormir avec son image dans la tête, son regard, son sourire, sa douceur, sa chaleur, sa tendresse...

Le dimanche Sophie travaillait comme la veille jusqu’à 14 h et elle devait ensuite partir à Dieppe pour ses jours de repos, chez une amie qui l’avait invitée. De notre côté, nous nous étions levées tard et du coup nous avions décidé d’aller déjeuner au restaurant où je travaille. Nous étions en train de faire la queue, il y avait un monde fou en ce week-end de 1 er mai, mon collègue a encaissé ma commande et mon portable sonna. Il s’est coupé aussitôt, car le réseau était très mauvais. J’ai sorti mon téléphone de mon sac et j’ai écouté le message en regardant Karine :

— C’est qui ? me demanda-t-elle sourire aux lèvres.
— Devine ? Sophie essaye de nous joindre... Attends-moi là, je vais passer dans le bureau des managers pour rappeler du fixe, j’arrive !
— Hé bé dis donc.... File je t’attends... répondit-elle en riant.

Je lui ai laissé le plateau entre les mains et je suis passée de l’autre côté du comptoir pour aller téléphoner du bureau. Son portable ne répondait pas, son fixe non plus. J’ai laissé un message sur le portable pour lui dire où nous étions au cas où... sachant quand même qu’elle devait partir pour Dieppe. Mais j’avais tellement envie de la voir... Mon cœur s’emballait, je devenais folle à l’idée d’avoir raté l’appel. J’ai rejoint Karine qui m’emmena jusqu’à la table où les filles nous attendaient. Ma sœur était au téléphone, j’ai compris que Sophie avait essayé de la joindre et qu’elle allait nous retrouver. Je contenais mon enthousiasme. Quand ma soeur raccrocha son téléphone, je n’ai pas pu m’empêcher de la presser de nous donner les nouvelles :

— Alors ? Elle nous rejoint ? Elle ne part plus à Dieppe ?
— Son sac n’est pas prêt, elle n’a pas l’air décidée à partir... elle veut nous voir avant d’aller à Dieppe, elle arrive...

Karine me lançait des regards qui en disaient long, nous nous parlions en silence. Tout le monde était installé et il restait une place vide qui attendait Sophie, juste à côté de moi... comme par hasard...
Elle a fait vite à arriver ! Elle a embrassé tout le monde, je fondais au contact de la douceur de sa joue contre la mienne. Elle s’est assise et tout de suite, j’ai senti son genou venir se coller contre ma cuisse. Je n’osais plus bouger, le message devenait très clair. Personne ne voyait ce qui se passait sous la table, j’étais comme pétrifiée, nous étions sur mon lieu de travail, ce n’était pas l’endroit idéal pour se lâcher, juste sous le nez d’une caméra ! Je n’osais plus bouger d’un centimètre.
Je pensais que Sophie avait déjeuné avant de venir, car elle avait juste pris un café. Et en fait non, elle m’expliqua après en marchant dans les rues piétonnes de la ville :

— Je n’ai rien pu avaler ce midi, je me sentais bizarre...
— Ah bon ? Qu’est-ce qui t’arrive ? demandai-je.
— Je ne sais pas...
— Tu es perturbée... dis-je en souriant.
— On peut dire ça comme ça, je suis même carrément perturbée !
— Comment ça se fait ? demandai-je.
— Je ne sais pas... j’ai oublié mon téléphone à la maison...
— Mais tu ne devais pas partir à Dieppe ? Pourquoi tu n’es pas partie plus tôt ?
— Je n’avais pas envie de partir... j’avais envie d’être avec vous... ça tombe vraiment mal que j’ai prévu quelque chose ce week-end ! dit-elle d’un air déçu.
— Tu ne peux pas dire que tu ne peux pas venir ? Que tu as un empêchement... dis-je en riant.
— Bah non, et il faut que je l’appelle pour dire que je vais être très en retard...
— En plus, c’est bête tu n’as pas ton téléphone...
— Oui, ça m’énerve, il va falloir que je repasse à la maison.

Nous avons trouvé une cabine téléphonique, elle a pu prévenir son amie qu’elle arriverait en fin de journée. Je sentais l’attirance de plus en plus forte, nous n’avions pas envie de nous quitter. Nous avons pris un dernier verre en terrasse avant que Sophie reprenne le métro. Je lui ai dit que je n’avais pas envie qu’elle parte, elle m’a répondu que c’était réciproque. Nous nous sommes données rendez-vous pour le lendemain matin à Dieppe, car nous ne travaillions pas le lundi. De retour chez ma sœur après avoir quitté Sophie en bas de chez elle, un grand vide s’était installé en moi. C’était terrible... Mon portable se mit à sonner une heure après :

— Oui ?
— C’est moi ... je t’appelle pour te dire que je suis bien arrivée... je me suis perdue en route, je ne sais pas comment j’ai pu faire pour me perdre...
— Ah oui, pas facile de se perdre pour aller à Dieppe...
— Tu me manques... dit-elle timidement.
— Toi aussi...
— Cool... je ne vais pas rester trop longtemps, tu n’es pas seule et j’appelle de chez ma copine... on se voit demain de toute façon...
— Oui, à demain...
J’ai raccroché et j’ai senti tous les regards plantés sur moi :

— C’était Sophie... elle est bien arrivée... dis-je embarrassée.
— Bah... elle aurait pu appeler sur mon portable ! répondit ma sœur.
— Heu... oui.. Je ne sais pas pourquoi elle m’a appelée.... dis-je naïvement.

Je sentais que ma sœur se posait des questions, elle voyait bien que j’étais absente. Karine était repartie, car elle travaillait le lendemain. Je lui ai envoyé un message pour lui dire qu’elle avait raison depuis le début, la faille était bien réelle. J’avais hâte d’aller à Dieppe....
Maryline 

28 septembre 2017

Mon coeur chavire

Dahlia, Dahlias, L'Automne, Asteraceae

10 mai (suite)

Depuis novembre, je n’avais pas revu Sophie, mais j’entendais parler d’elle de temps en temps par l'intermédiaire de ma sœur. J’avais bien envie de la revoir, mais je ne savais pas comment faire. Je pensais à elle régulièrement sans savoir pourquoi, elle était omniprésente dans mon esprit. Puis, ma sœur m’a annoncé que Sophie ne partirait plus dans les Alpes, car son ami l’avait quitté. Elles passaient plus de temps ensemble, Sophie n’allait pas très bien, elles sortaient, elles partaient en week-end bref, elles se changeaient les idées pour remonter le moral de Sophie. À l’occasion d’un de leurs week-ends, j’ai reçu une carte postale où Sophie avait écrit un petit mot, cela m’avait beaucoup touchée. Je n’osais pas dire à ma sœur que j’aurais bien aimé passer du temps avec sa collègue. Quand Karine a su que je commençais à me languir de pouvoir être libre de voir Sophie comme je le souhaitais elle n’a pas manqué de sauter sur l’occasion pour me rappeler ce qu’elle m’avait dit six mois plus tôt :

— Alors tu vois que tu l’aimes bien Sophie !
— Elle est toujours hétéro je te rappelle...
— Je ne suis pas sûre qu’il n’y ait pas une "faille" me répondit-elle sans plaisanter.
— Mais comment tu peux dire ça ? Elle a vécu avec un mec et s’il ne l’avait pas quittée, elle serait partie le rejoindre de l’autre côté de la France, alors arrête....
— On verra... s’obstina-t-elle dans son intuition.
— On ne verra rien du tout, je ne vais pas risquer de me prendre une claque.
— Alors tu vois que tu l’aimes bien la petite Sophie... dit-elle, fière de m’avoir déstabilisée.
— Oui, je l’aime BIEN comme tu dis, et alors ? Elle est très sympa, je la sens cool... mais cela n’empêche pas qu’elle est hétéro !
— Pfff... Léa aussi était hétéro... on a vu ce que ça a donné...
— Hé bien justement on a vu oui ! Ce n’est pas le bon exemple... dis-je.

Karine restait persuadée que quelque chose se préparait entre Sophie et moi, je ne voyais vraiment pas comment elle pouvait être aussi sûre d’elle.
J’ai profité d’avoir reçu cette carte postale pour demander le numéro de téléphone de Sophie à ma sœur afin de pouvoir la remercier directement. Nous avons commencé à nous envoyer des messages pour faire plus ample connaissance.

Dans le même temps, Léa avait été hospitalisée pour tentative de suicide, encore une fois avec des médicaments. Elle s’était enfermée à clef chez elle et elle avait avalé une sacrée dose de comprimés. Cette fois, elle n’avait prévenu personne. Mais elle a eu un coup de téléphone de son frère qui s’est posé des questions, car elle ne semblait pas dans son état normal au téléphone. Comme il habite loin, il a appelé la belle-sœur de Léa pour lui faire part de ses inquiétudes. Il lui a demandé d’aller chez elle pour s’assurer que tout allait bien. Sa belle-sœur m’a téléphoné pour avoir si j’avais toujours un double des clefs, par chance, j’en avais un. Elle m’a rejointe et nous sommes montées à l’étage du dessus.

Léa ne répondait pas à la sonnette. Nous avons essayé d’ouvrir, mais elle avait laissé les clefs dans la serrure. Il était 22 h 30, sa belle-sœur commençait à paniquer, nous avons appelé la police et les secours. Ils ont été obligés de défoncer la porte pour rentrer. Nous avons trouvé Léa inconsciente sur le canapé. Son compagnon était parti dans le nord avec sa fille, sachant que Léa n’allait pas bien. Cet homme nourrissait une rage en moi. Les secours ont emmené Léa à l’hôpital sans traîner. Elle a été transférée en réanimation où elle est restée deux ou trois jours, car elle ne se réveillait pas. Je commençais à m’affoler, je ne savais plus quoi faire pour elle, j’étais totalement désemparée. Personne ne pouvait l’obliger à vivre ni à quitter son compagnon avec lequel elle vivait une relation toxique. Elle a ensuite été transférée en psychiatrie, mais je n’osais pas aller la voir. J’avais la sensation que le fait que je m’intéresse à une autre femme déclenchait un tsunami chez elle, à chaque fois, c’était toujours la même chose, et pourtant, elle ne savait rien pour Sophie, car je me gardais bien de protéger ma vie privée. Je prenais des nouvelles tous les jours par l’intermédiaire des infirmières, parfois deux fois par jour.

Le lendemain du réveil de Léa, Sophie est venue me chercher à la sortie du restaurant, nous sommes allées nous détendre au jardin des plantes. Assise sur un banc, Sophie me semblait proche et loin en même temps. Elle était pensive, sans doute tracassée par ses soucis personnels. Nous avons discuté de tout et de rien tout l’après-midi sans nous apercevoir du temps qui passait. Le gardien du parc nous a gentiment demandé de sortir à 20 h pour fermer les grilles. Sophie savait que Léa avait été hospitalisée et elle voulait savoir qui était Léa pour moi. Je lui ai raconté notre histoire, elle était touchée que je sois encore près d’elle pour veiller sur elle comme je le faisais en ce moment même. Elle me sentait très inquiète. Nous avons abordé le sujet de l’homosexualité, elle ne supportait pas les homophobes, ils la mettaient dans une colère noire. Je trouvais cela très étonnant, quand on n’est pas directement concerné par le sujet, on peut être contre l’homophobie sans pour autant déclencher des colères... les émotions n’avaient pas lieu d’être. Je la sentais à l’aise avec moi, à l’écoute et en confiance, comme si nous nous connaissions déjà, qu’on ne s’était pas vu depuis des années et qu’on se racontait nos vies. Pendant notre conversation, deux garçons sont passés devant nous, main dans la main. Sur le banc d’en face, deux personnes âgées les ont regardés comme si elles avaient vu des extraterrestres. Sophie était énervée de voir leur réaction.
Ensuite, elle m’a parlé un peu d’elle en me disant qu’elle souhaitait rencontrer quelqu’un qui aurait 30 à 35 ans et qu’elle souhaitait avoir des enfants. Elle était bien hétéro... j’étais presque déçue de voir mes espoirs s’envoler, des espoirs dont je prenais tout juste conscience.

Comme le gardien nous avait mises dehors, Sophie m’invita à prendre un verre chez elle, elle habitait bien juste derrière chez moi. Installée sur le canapé, elle m’a montré des photos. La sentir si proche de moi me rendait nerveuse. Mes pensées divaguaient, mon cœur battait la chamade, je n’arrivais plus à me concentrer sur ce qu’elle me montrait ou me disait. Mes yeux se posaient sur son corps, ses jambes, ses mains, ses cheveux, ses yeux fatigués, sa peau lisse... j’avais envie de lui prendre la main, de l’embrasser... Il était temps que je rentre chez moi ! Mon téléphone m’avertit de la réception d’un texto... c’était Léa qui me demandait de lui amener quelques affaires pour le lendemain lors de ma visite. J’ai profité de cette intrusion téléphonique entre nous pour me lever et m’apprêter à rentrer chez moi. Sophie s’est levée en même temps et s’avança vers moi pour me dire au revoir. Elle posa ses deux mains sur mes bras et approcha ses lèvres de mes joues avec une douceur qui ne me laissait pas de glace. Elle laissa glisser ses mains le long de mes bras pour les remettre dans ses poches, et me souhaita bon courage pour ma visite à l’hôpital.

Je suis rentrée avec le cœur léger et j’ai téléphoné à mon amie Karine. Elle était encore plus persuadée qu’il y avait une "faille" comme elle aimait à le dire. Je ne voulais pas m’emballer sous ses paroles pleines d’espoir, mais mon cœur lui, chavirait sans paroles. Ma sensibilité était à vif. Karine avait prévu de venir passer le week-end du premier mai à la maison, il était certain qu’elle allait m’éclairer sur mes doutes. Elle avait l’intention de décanter les choses pour m’aider à avancer.
Maryline

27 septembre 2017

Entre deux vagues

Beauté, Des Femmes, Femme, Femelle

09 avril 2003

Samedi dernier avec mon amie Karine, nous sommes allées faire un tour au bord de la mer à Dieppe. Après avoir manger une moule-frite dans un petit restaurant, nous avons fait le tour du marché qui dure toute l’après-midi, profitant d’un temps magnifique. Le vent était très frais encore en ce début de printemps, ma saison préférée quand la nature s’éveille.

Assises face à la mer, nous admirions l’immensité de l’océan, la plage était déserte. Les vagues venaient frapper les galets qui roulaient quand elles se retiraient. Le rythme des marées m’a toujours fascinée. Dès l’âge de deux mois, j’ai rencontré la mer tous les étés, le seul endroit qui me ressource vraiment. La mer était un souffle de douceur dans le monde où je vivais et où je vis toujours. La vie est d’une telle violence que seule la nature me sécurise. Les plages sont des lieux de refuge quand la pression tape trop fort, quand j’ai besoin d’évasion, quand j’ai besoin d’air, quand j’ai besoin de me retrouver seule face à moi-même.

Karine était inquiète, car elle n’avait pas de nouvelle de son ami depuis quelque temps. C’est un artiste et elle a du mal à comprendre que les artistes aient besoin de longs moments de solitude pour créer. Il travaille la gravure et ne vit que de ses créations, il ne peut pas faire l’impasse sur son inspiration. Elle cherchait à mieux le comprendre, elle me posait des questions pour avoir mon point de vue. Je ne suis pas artiste, mais je peux facilement me mettre dans leur peau lorsque je suis en période d’écriture. La solitude est essentielle pour moi. La création découle d’un rendez-vous avec soi, un rendez-vous intime que l’on ne peut pas partager. L’inspiration vient nous chercher à n’importe quel moment, on doit se rendre disponible pour lui permettre de nous toucher. Elle surgit de nulle part, à n’importe quel moment, sans prévenir. Il faut savoir exploiter ces moments, car ils ne se représentent jamais deux fois. Concernant l’écriture, j’écris bien plus souvent dans ma tête que sur le papier parce que je n’ai pas toujours le stylo et la feuille sous la main pour noter ce qui me vient subitement comme une étincelle qui s’allume dans mon esprit. J’écris un roman qui restera à jamais enfermé dans mon cerveau. Les pensées ne reviennent jamais plus tard, pas celles-ci !

Karine se demandait s’il était possible de concilier vie de couple et vie d’artiste. Cela me semble difficile, mais certains y arrivent. Quand je suis en couple, je m’oublie donc la création, je n’en parle même pas. Je n’ai jamais réussi à concilier les deux et depuis que je suis seule, j’ai repris l’écriture. J’ai besoin d’écrire pour évacuer ma souffrance, je ne suis pas à 100% de ce que je voudrais donner, je ne prends pas encore assez de temps. C’est l’écriture qui me reconstruit, c’est par l’écriture que j’arrive à avancer dans ma vie.


10 mai 2003

Quand je dis que je ne prends pas assez de temps pour écrire, la preuve en est, il s’est passé un mois depuis la dernière fois que j’ai ouvert ces pages. La vie va trop vite ! Une petite mise au point s’impose donc.

Pendant les vacances de Pâques, j’ai passé une semaine chez mes parents avec mon petit frère qui a préféré rester avec moi plutôt que de partir avec eux.

J’ai fait la connaissance de Sophie, une collègue de travail de ma sœur que j’avais déjà vue en novembre l’année dernière lors d’une soirée raclette chez ma sœur.

J’ai acheté une voiture puisque mon crédit pour les meubles s’est terminé, une 205 Peugeot !

Léa a de nouveau tenté de se suicider, elle a passé une semaine à l’hôpital, une semaine chez son frère et une semaine chez sa nièce.

Angéla m’a profondément déçue en reportant sur moi ce qu’elle vivait avec David. Elle faisait un genre de transfert et il m’était impossible d’apaiser notre relation. J’ai dû prendre de la distance pour ne plus subir ses émotions débordantes de colère et de tristesse. Je pense qu’elle a été déboussolée à un moment donné dans notre relation, tout comme je l’ai été moi-même. Nous ne maîtrisions pas tout ce qui se passait entre nous, c’était devenu ingérable. Notre relation tournait à la destruction. Elle remplissait un manque affectif évident chez moi, mais je ne comprenais pas ce qu’elle cherchait dans notre relation. Elle semblait tellement heureuse dans son couple, pourquoi était-elle tant en souffrance affectivement ? Pourquoi n’arrivait-elle pas à avoir de recul dans ses relations amicales ? Quelque chose m’échappe toujours... Peut-être qu’un jour je comprendrais le sens de notre histoire...

Sophie m’a aidée à prendre du large par rapport à Angéla. Nous nous étions rencontrées en novembre dernier. J’avais entendu parler d’elle par ma sœur, car elle devait venir habiter dans notre quartier, l’immeuble juste derrière le mien. Les hasards de la vie ne sont jamais des hasards... Ma sœur l’avait invitée pour une soirée raclette, nous avions d’ailleurs passé une très bonne soirée et Karine était là aussi. Innocemment après cette soirée, Karine qui dormait chez moi comme d’habitude, me demanda :

— Qu’est ce que tu penses de Sophie ?
— Elle est très sympa, mais je ne la connais pas plus que ça, pas plus que toi.
— C’est tout ?
— Ben oui, que veux-tu que je te dise ? Elle a de super beaux yeux, dis-je en plaisantant.
— Ah oui ? Quelle couleur ?
— Je ne sais pas si c’est bleu clair ou vert, je n’ai pas poussé le bouchon à la scruter !
— Ah ouais.... dit-elle avec un sourire en coin.
— C’est bon ! Arrête ton imagination, elle est hétéro et elle va partir rejoindre son ami à Annecy .... Pas la peine de te faire des films !
— On ne sait jamais, répondit-elle pensive.
— C’est tout vu ! Je veux rester seule, je ne suis pas prête à construire quelque chose avec quelqu’un, même pas en rêve.... j’ai besoin de me reconstruire moi déjà !
— Oui, c’est sûr, mais cela n’empêche pas de faire connaissance... continua-t-elle.
— C’est fait...
— Hum...

Nous discutions dans le vide bien sûr, Karine aimait bien faire des plans sur la comète, mais en même temps, je connaissais ses capacités de visionnaire. Cette conversation m’a troublée et en même temps, cela me semblait tellement surréaliste qu’il puisse y avoir une histoire entre Sophie et moi. Je ne me doutais pas que j’aurais l’occasion de revoir Sophie six mois plus tard, qu’elle ne serait pas partie à Annecy et que son ami l’aurait laissée tomber...
Maryline 

26 septembre 2017

Je marche sur un fil

Femme, Nu, Loi Sur Les, Féminité, Art


24 mars 2003

Depuis quatre jours, les Américains ont déclaré la guerre à l’Irak. Les journaux télévisés ne parlent plus que de ça, nous n’avons même plus les actualités de la France. Des manifestations ont lieu tous les jours pour revendiquer la paix. Lors de l’une de ces manifestations, à Paris, l’un des restaurants de notre chaîne a été cassé sous prétexte que nous sommes une enseigne américaine. Revendiquer la paix par la violence, un non-sens à mon sens. Où est la crédibilité de ces manifestants ?

Aujourd’hui à Rouen, une manifestation était prévue à 18 h, en centre-ville. Nous avons reçu un fax de Paris nous donnant les consignes de sécurité à respecter. Bien évidemment, le restaurant était désert, les manifestants nous ont boycottés. Les cortèges passent toujours à quelques mètres de notre restaurant, deux CRS étaient postés devant la porte. Ils nous ont expliqué que si la manifestation tournait mal, il faudrait fermer le restaurant. Ils avaient fait venir en renfort trois fourgons et une voiture pour bloquer la rue piétonne. Ils ont fait évacuer les alentours, personne ne devait stationner devant le restaurant. Une des deux portes avait déjà été fermée. Le défilé est arrivé criant des slogans antiaméricains. Les CRS se sont fait siffler parce qu’ils assuraient la protection du restaurant, mais surtout des gens qui étaient l’intérieur et qui n’avaient rien à voir avec cette guerre. Notre franchisé n’est pas américain, mais français. Nous n’avons pas un seul américain dans l’équipe et quand bien même... ces divisions ne servent pas la paix. Notre franchisé craint tout de même pour ses restaurants, il a fait renforcer la surveillance jusqu’à trois heures du matin tout le week-end.

Depuis la guerre, le chiffre d’affaires est en baisse tous les jours de 10 à 20%. Notre enseigne à l’habitude d’être stigmatisée pour diverses raisons plus ou moins valables, mais cette fois, toute la profession est en alerte maximale. Des manifestations sont prévues tous les jours, ce n’est pas très rassurant de travailler dans ces conditions-là. Si la guerre s’éternise, cela va mal finir.


30 mars 2003

Mon amie Karine est arrivée vendredi soir pour le week-end. Je devais faire le ménage et les courses dans l’après-midi. Angéla a eu l’idée de passer chez moi à l’improviste, j’ai horreur des visites surprises. Je savais qu’elle était en repos et je pensais qu’elle m’enverrait un message le matin pour que l’on puisse se voir. N’ayant eu aucune nouvelle, j’ai commencé à faire ce que j’avais à faire, je me suis lancée dans le ménage, puis j’ai pris un bain pour me détendre. À 15 h l’interphone sonna avec insistance. J’ai regardé par la fenêtre, j’ai vu une petite voiture de sport grise garée en bas. Je n’avais pas encore vu la nouvelle voiture d’Angéla, mais j’ai deviné que c’était elle qui s’excitait sur la sonnette. Je n’avais pas envie d’être à sa disposition, j’étais fatiguée par les caprices qu’elle pouvait me faire subir. Je n’arrivais pas à passer au-dessus de ma déception de la dernière fois, son manque de confiance m’a vraiment blessée, son don de retourner les situations à son avantage m’exaspérait. Je n’étais pas d’humeur à la recevoir. Je n’ai pas répondu à l’interphone, elle est remontée dans sa voiture, mais elle ne démarrait pas. Elle est restée vingt bonnes minutes à essayer de me joindre sur mon portable, sur mon téléphone fixe, je ne répondais toujours pas. J’ai attendu qu’elle soit partie pour écouter les messages. Elle me demandait juste de lui faire signe quand je rentrerai chez moi. J’ai éteins mon téléphone et je suis allée faire quelques courses en bas de chez moi. J’ai fini par rallumer mon portable et je lui ai envoyé un message pour savoir ce qu’elle voulait. Elle n’a pas répondu, mais quinze minutes après, l’interphone retentit de nouveau. Je lui ai ouvert et je l’ai attendu sur le palier.

— Pourquoi tu ne m’as pas dit que tu venais ? demandai-je agacée.
— Parce que... je peux venir quand je veux non ? répondit-elle avec le sourire.

Elle est entrée dans l’appartement, je l’ai suivie sans répondre. Elle avait mis un pantacourt noir, une chemise blanche légèrement transparente boutonnée avec seulement trois boutons et ... pas de soutien-gorge ! Elle avait mis plein de bijoux, elle était rayonnante et moi, j’étais scotchée par sa tenue un peu trop décontractée à mon goût...
Elle s’est assise sur le canapé, je me suis assise face à elle et je l’ai écoutée me raconter ce qu’il se passait au travail et d’un seul coup elle s’arrêta :

— Mary, j’aimerais t’emmener faire un tour dans ma nouvelle voiture !
— Là maintenant ?
— Oui là tout de suite ! répondit-elle enthousiaste.
— OK, mais j’ai mon amie Karine qui arrive ce soir pour le week-end alors pas de folie....
— T’inquiète pas, tu seras rentrée à l’heure, aller c’est parti !

Nous avons pris la direction de l’autoroute, elle voulait aller dans le village où habitait son ami David dont elle n’avait toujours pas de nouvelle. Elle voulait récupérer son portable qu’elle lui avait prêté, un prétexte comme un autre pour le voir. Arrivées sur l’autoroute, elle me regarda et me dit :

— Depuis que tu es montée dans la voiture, je ne t’entends plus ma Petite Mary... Qu’est-ce qui se passe ma chérie ?
— Que veux-tu que je te raconte, je n’ai rien à dire...
— Je ne sais pas... qu’est-ce que tu as fait aujourd’hui ?
— Le ménage et les courses, c’est passionnant !
— Karine arrive ce soir ?
— Oui, elle vient jusqu’à dimanche.

J’étais très mal l’aise, elle me rendait nerveuse par sa façon d’être, sa tenue légère me perturbait, son sourire jusqu’aux oreilles m’interpellait et elle le sentait:

— Tu te sens comment ? me demanda-t-elle.
— Comment ça ?
— Tu te sens comment dans ma voiture ? précisa-t-elle en souriant.
— Ah ! Bien... elle est très sympa ta voiture !

Angéla a dû oublier en route l’objectif de sa destination, nous n’avons pas vu David. Arrivée dans le village en question, elle a repris la route en sens inverse. Je pensais que le petit tour était terminé et que j’allais pouvoir rentrer à la maison. J’étais en train de me dire qu’il était préférable de ne plus se voir en dehors du restaurant, car je n’avais plus grand-chose à partager si ce n’était mon mal-être à son contact. Angéla a fait encore une fois demi-tour en arrivant près de chez moi :

— Mais où tu vas ? lui demandai-je un peu énervé.
— Quelque part... tu verras bien...
— Mais il est tard là ! Il faut que je sois chez moi à 20 h, dis-je en colère.
— Karine ne sera pas là à 20 h pile !
— Peut-être, mais je veux être chez moi avant, c’est la moindre des choses de préparer son arrivée !
— Il faut que j’aille quelque part avant...
— T’es vraiment chiante hein quand tu t’y mets ! Si je suis en retard, ce sera de ta faute ! répondis-je fermement.

Elle n’en faisait qu’à sa tête, je n’étais pas libre de mes mouvements, elle m’embarquait toujours d’une façon ou d’une autre dans ses caprices. J’avais la sensation d’être utilisée et de ne pas pouvoir me libérer de cette emprise. Je voyais qu’elle prenait la route de la corniche, je savais où elle voulait aller, sur le panorama de la colline qui surplombe la ville de Rouen. La nuit tombait, la ville était illuminée, Angéla se gara sur le parking face à la ville en contre-bas :

— Regarde-moi ça Mary comme c’est magnifique, dit-elle en descendant de la voiture.
— Oui, c’est beau Rouen la nuit... répondis-je en tremblant.
— Tu as froid ?
— Un peu...
— Mais il fait bon, cria-t-elle.
— C’est sûr que toi aujourd’hui, tu as chaud ! Je ne sais pas ce qui se passe, mais...
— Je suis juste heureuse Mary... Heureuse d’être avec toi... mon rayon de soleil... me coupa-t-elle en me regardant droit dans les yeux, le sourire suspendu à ses lèvres. Ses yeux pétillaient.
— S’il te plaît Angéla, il faut que je rentre maintenant, ramène-moi chez moi...
— On y va ma chérie ! Tu seras à l’heure, tu vois...

Angéla m’a déposée en bas de chez moi, je ne me suis pas éternisée pour lui dire au revoir, je l'ai embrassé et je suis rentrée. Je ne savais pas quoi penser de toute cette sortie. J’étais perdue et attristée alors qu’elle était heureuse d’être avec moi, quelque chose ne tournait pas rond. Pourquoi je n’arrivais plus à apprécier ces moments ? Je sentais que j’en attendais plus et que j’étais dans la frustration la plus totale. La frustration et la peur de faire un pas de travers encore une fois. Je marchais sur un fil, je n’avais pas le droit de tomber.
Maryline
 

25 septembre 2017

Angéla craque...

 Angéla craque...

 17 mars 2003

Nous avons rencontré la psychiatre de ma mère. L’aîné de mes frères n’a pas souhaité assister à l’entretien. Nous avons fait le point sur la santé de ma mère, sur son environnement relationnel toxique. Ma mère avait déjà évoqué le problème de la présence envahissante de sa belle-mère. Nous avons confirmé ses dires puis nous avons également confirmé ce que la psychiatre pensait quant à Guillaume. Il est contre toute forme d’hospitalisation et n’encourageait pas ma mère pour aller à l’hôpital de jour. D’autre part, le neurologue n’avait jamais évoqué une hospitalisation à temps complet comme nous le soutenait Guillaume.
II ne comprend ou n’entend jamais ce que le neurologue lui explique. Nous avons conclu à la fin de cet entretien qui a duré une heure, qu’il était bien difficile de faire soigner ma mère.

Quant à ma grand-mère, nous avons réussi à avoir une infirmière qui viendra lui donner ses médicaments matin et soir pour éviter les cocktails explosifs. Mes oncles vont se renseigner sur les maisons de retraite de la région pour l’avenir. Cela me fait ouvrir les yeux sur le fait que le temps passe et que je suis en train de perdre mes deux mamans en même temps. La pilule est difficile à avaler.
Ce soir, je suis passée voir Angéla au restaurant. Elle m’a envoyé un message cet après-midi me disant qu’elle ne comprenait pas ce qui se passait entre nous en ce moment, je semblais ne pas avoir envie de lui parler. Il fallait qu’on discute, je suis arrivée après le rush pour avoir l’espoir d’une disponibilité et pouvoir manger avec elle. J’ai trouvé Angéla dans le bureau, devant l’ordinateur, l’air triste à mourir :

— Bonsoir...
— Ah Mary ! Qu’est ce que tu fais là ? me demanda-t-elle enthousiaste.
— Je passais te voir... tu as mangé ?
— Non et toi ?
— Moi non plus.
— Je n’ai pas très faim, mais on va manger maintenant pendant qu’il n’y a pas trop de monde.

Elle m’a préparé mon plateau, nous nous sommes assises l’une en face de l’autre, juste devant le comptoir. Et là, elle m’a déballé tout ce qu’elle avait sur le cœur concernant le travail. Finalement, nous en sommes tous au même point : trop de travail, trop de stress, pas assez de main d’œuvre. Nous avons passé deux semaines extrêmement épuisantes. La fatigue prend le dessus, le personnel est irritable, certaines phrases heurtent les sensibilités mises à rude épreuve. Angéla a du mal à comprendre comment sa directrice adjointe peut-être aussi agréable en dehors du travail et tout autant détestable pendant les heures de service. Pas facile de concilier relation amicale et travail avec sa hiérarchie. Il s’est passé beaucoup de choses ces derniers jours au restaurant, Angéla craque et ne se sent pas les épaules assez larges pour supporter autant de pression en plus de ses problèmes personnels. Mais le fond de l’histoire n’était pas là...

Après avoir terminé notre repas, Angéla est allée dans le bureau pour commencer à compter les caisses. Je l’ai rejoint avec mon café que je voulais boire avant de rentrer chez moi. Je la regardais ranger ses billets avec soin, elle était à demi présente puis elle me dit :

— Alors comme ça, tu es allée à Dieppe samedi et tu ne m’as même pas envoyé un message pour me le dire ?
— Pardon ? Qu’est ce que tu veux insinuer ? demandai-je, un peu surprise de devoir rendre des comptes.
— Tu ne m’envoies plus de message, tu ne m’écris plus, on ne se parle plus, on ne se voit plus... me dit-elle avec les larmes aux yeux.
— Tu as mis toi-même une distance entre nous Angéla, tu m’as dit que tu voulais prendre du recul, qu’on se retrouverait plus tard, je n’ai fait que respecter ton choix, ce n’est pas à moi qu’il faut faire des reproches si on ne se voit plus, tu n’es pas disponible et je ne suis pour rien....
— Oui, mais.... les vrais amis, ils insistent ! J’ai cru que tu m’avais zappé de ta vie ! continuait-elle en pleurant.
— Tu as vraiment pensé ça ? Que je t’avais zappé de ma vie ?
— Bah oui, je l’ai pensé parce que tu ne m’envoyais plus rien....

Je me suis retournée, je voyais les équipiers qui s’activaient au rangement du restaurant pour préparer la fermeture, elle me faisait mal, je ne savais que répondre face à sa détresse affective.

— Regarde-moi Mary ! Je te dis la vérité et tu le prends mal, regarde-moi ! insista-t-elle.
— Tu sais Angéla, si je suis là ce soir c’est uniquement pour te voir, ce n’est pas pour le plaisir de me balader au restaurant sur mes jours de congé ! Je m’étais juré de ne pas mettre les pieds dans ce putain de restaurant pendant trois jours, je ne me serai déplacée pour personne d’autre que toi ! Tes pensées me déçoivent, tu me connais mal, tu ne me fais pas confiance Angéla, il est là le problème, tu n’as pas confiance en moi, pourquoi ? dis-je sur un ton ferme.
— J’ai peur Mary... j’ai peur d’avoir des amis et de les perdre. On a tellement été proche toutes les deux et là, on est tellement distante, ça me fait peur...
— La distance, c’est toi qui l’as imposée, pas moi ! Alors maintenant que le dossier de ton mari est en cours, tu vas arrêter de vivre comme si on allait t’expulser et tu vas redevenir comme avant. Ta vie s’est arrêtée au mois de janvier, tu t’es enfermée toute seule. Tu as pris du recul, j’en suis restée là ! répondis-je en colère.
— Tu as raison, c’est de ma faute, je deviens possessive à force d’avoir peur de perdre mes amis, mais tout ce qu’on faisait avant, ça me manque tellement.... si tu savais... dit-elle en essuyant ses larmes.
— Alors, réagis ! Toi non plus tu ne m’as pas envoyé de message ce week-end... Moi je n’insiste pas si je vois que je dérange, je prends mes distances. Je t’ai laissé tranquille parce que je savais que tu n’étais pas bien et que tu avais besoin de te retrouver avec ton mari. Il n’y a aucune mauvaise intention de ma part, bien au contraire. Je voulais te voir cet après-midi, mais tu attendais ton mari alors...
— Oui, c’est vrai, c’est moi qui t’ai laissé de côté, je suis désolée Mary, je ne me suis pas rendu compte des conséquences que tout cela entrainerait. Je ne veux plus vivre en Roumanie, je veux rester là et je sais que je peux être tranquille, les papiers sont en bonne voie.
— Qu’est ce que tu fais demain ? demandai-je à tout hasard.
— Je vais à Paris avec mon mari... répondit-elle gênée. Oui je sais, à chaque fois que tu me proposes de se voir, je ne suis pas disponible, mais il y a toujours quelque chose, ce n’est pas de ma faute.... continua-t-elle.

Je voyais les équipiers qui commençaient à se poser des questions, les regards se tournaient régulièrement vers le bureau pour voir ce qui s’y passait. Je n’avais pourtant pas envie de partir, mais il était temps.

Je fais l’ouverture demain et je n'ai pas envie d'aller me coucher. Angéla m’a bouleversé une fois de plus, elle me déstabilise, je ne sais jamais à quoi m’attendre entre nous. Elle exprime beaucoup ses émotions, j’ai du mal à m’y faire, j’éponge tout ce qu’elle ressent, je n’ai toujours pas de recul.
Maryline 
 

23 septembre 2017

Notre société est malade

Horloge, Temps, Indiquant Le Temps


09 mars 2003

Je suis épuisée de fatigue. Je n’ai pas eu le temps d’écrire, car j’ai passé huit jours non-stop au restaurant pour préparer un contrôle qualité des grands pontes parisiens de la restauration rapide. Nous avons été notés par un conseiller régional. Comme à chaque fois, nous avons fait le maximum sur le nettoyage et l’entretien des équipements. J’ai travaillé en une semaine l’équivalent de deux semaines.

Le jour du contrôle, j’ai été planifiée pour faire l’ouverture du restaurant afin que tout se passe au mieux, car le collègue qui devait en principe faire cette ouverture n’avait pas encore acquis assez d’expérience pour recevoir les grands chefs. Notre métier est stressant en temps normal, mais ces jours exceptionnels entraînent deux fois plus de pression. Bien sûr, c’est toujours quand on est sous pression que les choses tournent au vinaigre. Tout ne s’est pas super bien passé, notamment pendant le rush du midi ou quelqu’un avait appuyé malencontreusement sur un coup de poing d’arrêt d’urgence et a fait sauter les plombs de toute la cuisine... Cela a entraîné un certain retard dans les commandes et ce fut la débandade et la panique pendant quelques minutes.

Quand on est fatigué et épuisé par la préparation en amont pour cette super journée, les esprits s’échauffent au quart de tour. L’ambiance était électrique, voire explosive. Il fallait produire juste au niveau des sandwichs, ne pas dépasser dix minutes avant qu’ils soient servis aux clients sinon ils étaient jetés, sept minutes de retenue maximum pour les frites, sinon elles étaient jetées, et trois minutes pour les caissières pour servir un client du "Bonjour" au " Bon appétit".... TROIS minutes chronométrées et pas plus ! Tout était chronométré, chacun à son poste, nous n’avions pas le droit à l’erreur, il fallait apprendre à gérer, à anticiper juste ce qu’il fallait, car nous n’avions pas le droit de tout jeter non plus sous prétexte que c’était froid.

En même temps, le client ne devait pas attendre plus de trois minutes, donc il devait y avoir tous les produits nécessaires dans tous ces laps de temps. Un truc de fous ? Oui, un truc de dingue, ingérable sur une durée de deux heures de rush, mais nous l’appliquons quand même. Les règles doivent être respectées, elles sont établies pour ça. L’hygiène est poussée à l’extrême malgré tout ce que je peux lire sur la toile, les gens ne se rendent pas compte vu du comptoir comment se passe le service, comment les équipiers et managers travaillent sous pression.
Le chronométrage, le temps, sont des pressions, je ne parle pas de l’ambiance en général, celle-ci est propre à chaque restaurant et dépend bien souvent de son directeur. Si le directeur sait lui-même gérer sa pression, il ne la reporte pas sur son équipe, mais dans le cas contraire, l’ambiance peut devenir invivable. Quand on travaille dans ces entreprises, le challenge c’est d’apprendre à gérer son stress, à tous les niveaux hiérarchiques. Nous travaillons donc contre notre nature véritable, l’être humain soumis à un stress permanent, même s’il apprend à le gérer, finit toujours par avoir des problèmes de santé mentale ou physique. Nous sommes tous des malades en puissance quelque part. Notre société est gravement malade. L’être humain n’est pas adapté au rythme de notre société qui va toujours plus vite, toujours plus loin, toujours plus... plus... plus.

Pendant que nous servons nos clients en moins de trois minutes avec des produits bien chauds, des gens meurent de faim en France et seraient ravis d’être servis en dix ou quinze minutes même avec un sandwich tiède. Soyez simplement heureux de pouvoir remplir votre estomac tous les jours ! Je ne comprendrai jamais ces extrêmes coexistant sur un même territoire. Certains ont des goûts de luxe, d’autres meurent de pauvreté, et entre les deux, nous sommes là, à trimer toujours plus pour faire toujours mieux au détriment de notre santé. Quel est le sens de la vie dans tout ce merdier ?

Comme un robot, j’ai appliqué toutes les règles du mieux que je le pouvais tout au long de cette journée, mais bien sûr, ce n’est JAMAIS assez. De peur que l’on s’endorme sur nos lauriers, on remonte la barre un peu plus haut à chaque fois, motiver la progression par la pression, c’est la politique appliquée. Donc nous n’avons pas eu la note maximale, nous ne sommes pas à l’école, le parfait n’existe pas. Ce qui est vrai en même temps, rien ni personne n’est parfait. Alors, pourquoi courir après la perfection si elle n’existe pas ?

Je n’ai pas d’autre choix que de me transformer en robot pour jouer à un jeu ou nous perdons d’avance. Quand je commence à réfléchir, je sors des clous, rien ne va plus ! Mes patrons n’aiment pas trop quand je réfléchis, je fais des remarques désagréables, je dis des vérités dérangeantes et on m’invite gentiment à rentrer dans le moule ou à prendre la porte si je ne suis pas satisfaite. Finalement, c’est simple la vie, tout est une question de choix. Mais j’ai parfois l’impression d’être justement là pour déranger un peu, bousculer les règles, ouvrir les consciences sur les absurdités que l’être humain peut mettre en place au quotidien. Par intermittence, j’accepte de jouer le jeu, mais vraiment, en ce moment, je n’ai plus envie de jouer parce que j’ai des soucis qui à mon sens, sont bien plus importants que de servir en trois minutes, jeter un sandwich refroidi ou des frites tièdes... ma réalité est bien moins légère que toutes ces règles. Alors je deviens arrogante face à tant d’incohérence devant mes patrons parce que je n’ai plus rien à perdre. Je suis en train de perdre ce que chaque personne a de plus cher en son cœur : sa maman. Je refuse de subir leur pression parce que celle que je vis avec ma mère est bien plus grave et plus dure à gérer. Nous ne sommes plus dans le même monde, j’ai changé de camp, mes priorités sont ailleurs.

Devant toute cette tension, je me rendais compte que c’était bien la première fois que j’étais aussi détachée des résultats de ce contrôle. À la fin du service, j’étais vidée par la fatigue accumulée depuis huit jours, je n’avais qu’une envie : dormir. Angéla prenait le relais pour la soirée. Elle est arrivée un peu en avance, j’étais dans le bureau en train de terminer les tâches administratives.

— Bonjour Petite Mary.... alors, ce contrôle, il s’est bien passé ?
— Salut... pfff... il s’est passé, c’est déjà pas mal ! dis-je blasée.

Angéla s’est plantée devant moi, elle a pris ma tête entre ses mains, elle s’est approchée tout doucement de mon visage et m’a embrassée tendrement sur le front... Épuisée, je n’ai pas réagi devant ce geste peu banal entre collègues. J’étais vide de tout, même d’émotion. Dans mes allées et venues entre le bureau et comptoir, elle arrivait toujours à m’attraper par le bras, par la main, sans doute pour me faire réagir à ces besoins tactiles que nous avions perdus depuis quelque temps. Angéla s’était enfermée dans son couple, elle ne vivait plus, et moi je m’étais enfermée en moi. Par ces gestes j’avais l’impression qu’elle essayait de me rassurer, de me montrer qu’elle était toujours là, malgré tout, malgré la distance qui s’était imposée naturellement à nous.

Elle a commencé son service, mais ma journée n’était pas terminée, je devais passer la commande générale pour le restaurant. À 17 h 30, les notes sont tombées : BAA (Qualité, Service, Propreté). Le conseiller est parti, Vanessa est allée manger. Elle a eu une altercation sérieuse avec son supérieur et avait du mal à s’en remettre. Notre directeur a quitté le restaurant en disant qu’il allait se prendre une cuite pour fêter ces notes qu’il jugeait plus que correctes ! Tout était prétexte à boire. Il aurait sans doute noyé sa déception si elles avaient été mauvaises... J’ai terminé ma commande à 19 h, Vanessa m’a rejointe en salle de pause ou je prenais un café. Angéla pensait que nous étions parties, elles nous a surprises en allant dans les vestiaires :

—  Mais qu’est ce que vous faites encore là à cette heure-là ? Vous avez vu vos têtes, rentrez vous coucher ! Mary, tu ouvres demain à 6 h 30 non ?
— Tu as mangé ? demandai-je à Angéla.
— Non, pas encore,il y a déjà plein de monde en caisse ! répondit-elle.
— Je vais t’attendre pour manger, je rentrerai après... je me lève à 5 h demain effectivement...

Je me suis couchée à 23 h, les nerfs prenaient le relais sur la fatigue. Lorsque je suis arrivée au restaurant quelques heures plus tard, Angéla m’avait laissé un petit message griffonné sur le bureau, j’ai découvert ces quelques mots qui ont ravivé mon cœur : "Ma Petite Mary, je n’oublierai jamais le baiser que j’ai déposé sur ton front aujourd’hui... Tu me manques beaucoup et j’attends qu’on puisse enfin se retrouver."

Cette femme était là pour m’empêcher de fermer mon cœur et m’obliger à laisser ma sensibilité s’exprimer. Cette pseudo-séparation était pourtant nécessaire pour moi, je refusais de m’attacher à une illusion. Son amour amical débordant m’apprenait à gérer mes débordements amoureux. Sur ce terrain-là non plus, je n’avais plus envie de jouer. Elle me manquait beaucoup elle aussi et c’est justement ce manque qui m’effrayait. Je ne voulais plus souffrir. J’avais déjà assez mal comme ça. J’étais trop sensible à sa tendresse, je n’avais jamais connu ce genre de relation, limite borderline entre l’amitié et l’amour, j’étais prise dans la tourmente des sentiments.
Maryline 

21 septembre 2017

Même les carapaces finissent par craquer

 Coeur, Amour, Chagrin, Passions, Emotion

 25 février 2003

Je suis particulièrement émue et touchée ce soir, je viens de recevoir un texto de mon frère Tony. Le simple fait de recevoir des nouvelles est déjà un événement, mais à la lecture de ses mots, mon cœur s’est emballé.

Tony est particulièrement renfermé, voire hermétique, il n’exprime jamais ses émotions et de ce fait peut sembler froid et distant. C’est un jeune homme qui souffre en silence. Il refuse d’aborder le sujet de la maladie de ma mère, une douleur trop insupportable pour lui. Sa souffrance l’a rendu tellement agressif que la famille l’a pris en grippe et l’a rejeté à cause de son comportement inacceptable vis-à-vis de ma mère surtout. Certains sont même allés jusqu’à dire qu’il serait peut-être responsable de la maladie de ma mère... ce qui est bien évidemment faux, mais il fallait trouver un coupable ! Personne n’est coupable. Moi non plus, je n’acceptais pas son attitude parfois odieuse, mais je comprenais que c’était l’unique moyen, pour lui d’ évacuer ses émotions. Il essayait d’attirer l’attention de ma mère par son comportement, il tentait de la faire réagir, personne ne lui avait expliqué pourquoi ma mère était différente. Je savais qu’il était malheureux et je ne voulais pas qu’il se retrouve seul face à ce drame qui nous touchait tous.

J’ai essayé de gagner sa confiance pour garder le contact à tout prix. J’ai remarqué qu’il communiquait beaucoup par texto alors je lui ai envoyé un message lui demandant de me prévenir quand il changerait de portable, pour que je puisse lui envoyer des textos, car il changeait souvent de numéro. Il m’a répondu qu’il avait changé de portable, mais pas de numéro. J’ai voulu entamer une discussion en lui demandant de ses nouvelles, mais cette fois, mon message est resté sans réponse... jusqu’à ce soir où il m’a envoyé une phrase juste pour me dire : "je t’aime très fort, tu me manques"... 
Jamais mon frère n’avait exprimé ces quelques mots qui ont complètement chaviré mon cœur en un quart de seconde au point d’en pleurer. J’étais traversée dans tout mon corps par un sentiment d’abandon terrible. Je le sentais tellement mal intérieurement... Ce garçon que tout le monde rejetait pour son agressivité était capable d’aimer, mais personne ne s'en rendait compte, je trouvais cela tellement injuste... Il a fallu qu’il soit retranché dans sa souffrance pour oser dire ces quelques mots. Je suis restée hébétée devant mon portable, les yeux collés à l’écran, accrochés à cet amour.... nous en avions tellement besoin. Je sentais mon cœur battre très fort, d’une intensité démesurée. Je ne pensais même pas lui manquer autant. Il avait mis une telle distance entre nous qu’il m’était bien difficile de l’approcher. Je lui ai répondu sur le même registre, c’était la première fois que je lui disais que je l’aimais. Nous n’avons pas été habitués à exprimer nos sentiments ni nos émotions. J’exprimais mes émotions quand j’étais seule avec moi-même, jamais en public. Nous avons un peu le même tempérament avec mon frère, le même signe zodiacal aussi, sans doute les mêmes blessures profondes. Je ressens sa souffrance comme si c’était la mienne, je fusionne avec lui à ce niveau-là, c’est la raison pour laquelle je n’ai jamais pu lui jeter la pierre sur ses défauts qui pour moi, étaient simplement le reflet de son mal-être. Le rejet amplifie l’agressivité.

En ce moment Angéla m’aide beaucoup à exprimer mes émotions, elle me transmet quelque chose d’important car elle a ouvert mon cœur. Le seul souci c’est que les émotions jaillissent d’un seul coup et que je ne sais pas les canaliser. Je me reconnais si bien dans mon frère, quand on a peur de perdre quelqu’un, le cœur est mis à rude épreuve et nul n’est à l’abri de devenir agressif face à cette douleur. Moi aussi je montre de l’agressivité et de la colère face à cette femme de la préfecture ! Et pourtant, ce n’est pas dans ma nature profonde d’avoir envie de retourner tout un bureau. C’est la souffrance qui transforme notre être, ce sont nos blessures d’abandon qu’il faut apprendre à soigner.

Mon frère a une sensibilité à fleurs de peau, mais elle ne se voit pas dans son comportement. C’est un dur au cœur tendre comme je le dis souvent, comme beaucoup d’hommes finalement. Je l’ai toujours protégé comme si c’était mon enfant, avec 16 ans d’écart, il est certain que notre relation fraternelle peut devenir maternelle dans les moments difficiles surtout. Je reste la seule à pouvoir communiquer avec lui. Il me fait penser à l’enfant sauvage... il est inutile d’aller vers lui pour l’effrayer avec des sujets de conversation qu’il redoute plus que tout, il faut juste lui faire comprendre qu’on est là, le laisser venir, être patient, à l’écoute et lui donner confiance.

Quelques minutes après ce premier message bouleversant ce soir, j’ai reçu un deuxième texto, mais cette fois c’était sa petite amie qui m’écrivait : "Tony pleure, il est très malheureux à cause de votre mère. J’aimerais vous rencontrer, car il m’a beaucoup parlé de vous." J’ai répondu de suite à son amie en lui demandant de prendre soin de mon frère, car je tenais à lui et je savais qu’il souffrait beaucoup. Elle m’a répondu avec son portable à elle en me donnant son numéro de téléphone et en me rassurant : "Ne vous inquiétez pas, il est entre bonnes mains. Votre future belle-sœur."

J’ai compris avec cette signature que mon frère était effectivement aimé et entouré par une jeune fille qui m’inspirait à la fois confiance et maturité. J’étais soulagée de savoir qu’il était enfin soutenu par quelqu’un qui le reconnaissait dans l’amour.

J’étais en repos ce week-end pendant trois jours. J’ai passé l’après-midi d’hier avec mes parents et ma sœur. Mon beau-père était en vacances, sa mère était là aussi, pour ne pas changer. Forcément ma mère n’était pas bien, elle se plaignait de maux d’estomac et déprimait en se demandant quand est-ce que tout cela allait s’arrêter. Elle n’est pas d’accord pour aller en hôpital de jour, elle croit qu’on lui a fait visiter l’hôpital pour aller y travailler !

J’ai repris le travail ce matin, je n’avais pas demandé de nouvelles de tout le week-end et ma directrice adjointe m’en a à moitié fait le reproche. Quand on mélange relation amicale et travail, on doit rendre des comptes sur tous les plans ! Angéla m’avait laissé un mot sur le bureau en me disant qu’elle me sentait très loin en ce moment. Le fait de me mettre à écrire m’incite à entrer dans ma bulle et effectivement je prends de la distance avec tout le reste. Je suis entrée dans mon refuge, ma soupape. De toute façon, Angéla n’est pas très disponible non plus avec ses démarches administratives en cours. Je ressens aussi le besoin de me rapprocher de ma famille. Ma grand-mère ne va pas bien non plus, elle tourne en boucle avec une histoire de voisin qui vient la nuit, lui casser ses poteaux de clôture... Mon oncle Patrice va venir de Paris pour savoir quelle décision il va prendre avec ses frères par rapport à ma grand-mère qui devient dépendante. C’est inquiétant de vieillir...
Maryline 
 

20 septembre 2017

Mise au point familiale

Jeune Fille, Brave, Bravoure

07 février 2003

Angéla a le soutien de nos patrons dans ses démarches et de tous nos collègues. Chacun fait de son mieux pour l’aider que ce soit au niveau administratif ou au niveau de son planning au restaurant pour pouvoir la libérer afin qu’elle puisse aller à ses rendez-vous. Un collègue lui a donné l'adresse d’une association sénégalaise qui connaît bien toutes les procédures pour les travailleurs étrangers, tout le monde était choqué de voir la façon dont leur dossier était traité. Le responsable de l’association a conseillé à Liviu de demander une lettre de promesse d’embauche à son ancien président du club de rugby, car il pourrait toujours travailler en tant qu’entraîneur si jamais le reste ne fonctionnait pas.
Le patron de l’entreprise de vigile où travaillait Liviu actuellement ne comptait pas se séparer de lui, il était prêt à le faire travailler au noir. Il avait gardé une copie de son récépissé de séjour qui l’autorisait de toute façon à travailler jusqu’au 19 février.


08 février 2003

Je rentre d’un dîner où j’étais avec ma sœur, chez mon oncle et ma tante. Nous ne nous étions pas vus depuis longtemps et ils avaient envie de parler de ma mère. Nous étions d’accord pour dire que la maladie s’aggravait et qu’il n’était pas simple de composer avec la mère de mon beau-père qui rembarrait tout le monde pour s’occuper de ma mère alors qu’elles ne s’étaient jamais entendues auparavant. Ma mère ne supportait plus la présence de sa belle-mère. Puis, mon oncle a commencé à me parler de mon petit frère qui, a 17 ans était insupportable, coléreux, irrespectueux, notamment envers ma mère, mais de façon générale, envers tout le monde. Je savais où il voulait en venir et j’ai commencé à voir rouge d’emblée, car il détestait mon frère. Il était devenu la tête de Turc dans la famille parce qu’effectivement, c’était un petit garçon en pleine souffrance face à une maman qui ne pouvait pas s’occuper de lui comme il en aurait eu besoin. Mais avant cela, mon frère avait déjà eu un lourd passé d’enfant dont personne n’était au courant... ce soir-là, je n’avais plus envie de me taire :

— Écoute-moi bien Jean-Paul, mon frère il est comme son père l’a éduqué ! Crois-tu que Guillaume respecte beaucoup de monde dans la famille ? Il n’y a que sa famille qui compte et il ne s’est jamais caché de dire ce qu’il pensait des uns et des autres devant ses enfants. Guillaume n’a jamais pu encaisser sa belle-mère, mon frère ne supporte pas ma grand-mère, ta mère ! Guillaume nous a carrément dit qu’il n’avait jamais pu la voir ! Tu crois qu’il leur a enseigné quoi aux garçons ? Il leur a appris à dénigrer, ce n’est pas apprendre à respecter ça ? Mes deux frères n’ont pas le même caractère et ils n’ont pas eu le même démarrage dans la vie, puisqu’il faut en parler, je vais te dire quelque chose... Tony avait des problèmes de santé quand il était bébé, des otites à répétition qui l’ont d’ailleurs rendu à moitié sourd, il a perdu 20 % de son audition. La nuit, quand il ne voulait pas dormir et qu’il hurlait dans son lit, Guillaume se levait et hurlait comme un fou à en réveiller tout le monde. Il pensait que son fils faisait de la comédie, il finissait par la plaquer dans son lit comme s’il allait l’assommer. Ma chambre était collée à la sienne, j’entendais tout. Bien sûr, il pleurait de plus belle, pauvre petit père... et Guillaume s’énervait encore plus, c’était devenu infernal, j’avais très peur en fait. C’était impossible de se rendormir après un tel cirque ! Une maison de fous ! Une nuit, j’ai vraiment eu peur pour mon frère, j’ai cru qu’il allait le laisser sur le carreau. Je me suis levée, j’ai pris mon frère contre moi et je l’ai emmené dans ma chambre. Je me suis aperçu qu’il hurlait dès qu’il était en position allongée et qu’il s’arrêtait dès qu’il était debout, sauf que ce n’était pas de la comédie, il était épuisé et s’endormait assis ou debout ! J’ai mis trois secondes à me rendre compte de ça ! C’était flagrant qu’il avait mal quelque part. Je me suis calée assise contre le mur, j’ai gardé mon frère debout contre moi, il a fini par s’endormir. Le lendemain, j’ai dit à mes parents qu’il avait quelque chose qui n’était pas normal, qu’il souffrait et ne faisait pas de la comédie. C’est comme ça qu’on s’est aperçu qu’il avait une otite qu’il fallait consulter un ORL. On lui a posé des drains, mais il était trop tard, son audition a été touchée. Il a été embêté avec ces problèmes-là longtemps. Quelque temps plus tard, moi aussi j’ai fait une otite et j’ai pu voir à quel point c’était douloureux quand tu es couché ! Une horreur ! C’est comme si on t’enfonçait une aiguille dans le tympan. J’étais dégoûtée de savoir que mon frère avait tant souffert et qu’en plus il avait été violenté... parce qu’il n’y a pas d’autre mot quand tu secoues un bébé et que tu le plaques dans son lit, c’est d’une violence inimaginable pour lui... j’avais mal pour lui. Une violence cumulée à une autre.
Ensuite, il y a eu des problèmes avec la nourrice, forcément, mon frère ne s’adaptait pas, ma mère a eu du mal à le laisser pour reprendre son travail. Puis, il y a eu l’école, les devoirs et l’impatience de Guillaume, c’était encore un moment de guerre à la maison, tous les soirs. Tony n’a jamais été irrespectueux avec moi, jamais ! Je l’ai gardé bien des fois et je n’avais pas de soucis avec lui, il fallait juste être patient... Les enfants ressentent tout et épongent tout. Si tu es agressif, il sera agressif ! Guillaume renvoyait sa colère sur son fils, il en a récolté les fruits. Tony sent les gens qui ne sont pas sincères avec lui, qui ne sont pas authentiques. Il sait à qui il a affaire, tu ne peux pas tricher avec lui. Alors évidemment, aujourd’hui, beaucoup sont surpris par son attitude... moi non, elle est d’une logique implacable. C’est un gamin qui souffre dans son coin parce qu’il a peur de perdre sa mère. Quand on a peur, on devient agressif. Guillaume a mis un temps fou à expliquer à mes frères que ma mère était malade. Il ne voulait rien leur dire, comme s’ils ne se rendaient pas compte que quelque chose clochait ! Tony est le plus jeune d’entre nous, j’ai 16 ans de plus que lui. Il entrait dans l’adolescence au moment où sa mère est tombée malade. C’est un gamin à qui on n’a jamais donné de repère, de limite, il s’est éduqué tout seul. Quand on ne vit pas avec les gens, on ne sait jamais ce qui se passe derrière chaque porte fermée. Vous ne voyez qu’une partie de l’iceberg... En ce qui me concerne, je ne lui ai jamais jeté la pierre parce que je sais ce qu’il a vécu et enduré, on lui a transmis la violence dès ses premiers mois, elle a été banalisée. Il aurait pu devenir pire que ce qu’il est aujourd’hui... Parce qu’on fond de lui, il n’est pas méchant, il souffre, c’est différent. Moi je ressens cette souffrance dans mes tripes depuis son plus jeune âge, depuis toujours. Même si je ne suis pas toujours d’accord avec son attitude envers les uns, les autres, jamais je ne le laisserai tomber parce que je sais au plus profond de moi-même qu’il va avoir besoin de moi et en ce moment, il est bien seul... Son père ne s’assume pas lui-même, comment veux-tu qu’il assume ses garçons ? Quand maman sera partie, nous n’aurons plus de nouvelle de Guillaume. Il considère sa femme comme un boulet, il ne l’a jamais respectée non plus d’ailleurs, pourquoi son fils aurait-il du respect ? On ne peut pas transmettre des valeurs que nous n’appliquons pas nous-mêmes. Le dialogue est difficile avec Tony en ce moment, même pour moi parce qu’il se renferme sur lui-même. Mais je veux qu’il sache que je tiens à lui...

Lorsque je me suis arrêtée de parler, c’est comme si le temps s’était arrêté lui aussi. Plus personne n’avait rien à rajouter, il n’y avait rien à dire. Mon oncle m’avait écoutée sans m’interrompre, c’était déjà pas mal. Je ne supporte pas que ma famille rejette mon frère. Ils ne s’imaginent pas ce qu’il vit au quotidien, ils ne savent pas, ils ne peuvent pas comprendre. J’étais décidée à ne plus me taire, je n’avais rien à perdre. Je suis entrée dans une démarche de vérité, pas dans une démarche de vengeance. Je veux remettre les choses à leur juste place, que chacun reprenne ses propres responsabilités dans son histoire personnelle et familiale. J’écris pour me soulager émotionnellement, je publierai peut-être pour partager mon expérience de l’impact des intentions négatives sur notre vie et celle des autres. En résumé, c’est mon objectif...
Maryline