
03 décembre 2002 (suite...)
Le week-end arriva très vite et je travaillais en horaires d’ouverture au restaurant. Angéla était toujours en binôme avec moi et cela tombait vraiment bien, nous n’étions pas trop de deux managers étant donné mon état psychologique. Nous commencions à avoir pas mal de passage au restaurant, les gens achètent leurs cadeaux de Noël de plus en plus tôt et comme nous sommes en centre-ville, nous avons du monde toute la journée.
Je me demandais si Nadège allait avoir le courage de venir, je n’y croyais toujours pas tellement elle avait été distante ces dernières années. Cette attente me rendait nerveuse et cela se ressentait sur l’ambiance. Après la grande vague du déjeuner, j’ai appelé l’hôpital pour avoir des nouvelles de Léa. Elle venait d’être transférée dans le service des infectieux ce qui était plutôt bon signe puisque c’était son service habituel en lien avec sa pathologie due au VIH. Elle avait rencontré le psychiatre et les visites étaient autorisées, mais la sortie n’était pas programmée.
Les heures tournaient et Nadège ne donnait pas signe de vie. Il était 16 heures, je terminais mon service une demi-heure après. Je désespérais, enfermée dans le bureau pour compter les caisses quand j’ai été interpellée par une présence que je ressentais, mais que je ne voyais pas... Je suis sortie jeter un œil sur le comptoir et là, mes yeux se sont arrêtés sur une silhouette et ont accroché un regard que je connaissais... celui de Nadège... J’ai vu son sourire illuminer son visage. Je me suis dirigée vers elle comme hypnotisée par ce que je voyais devant moi. Elle n’avait pas trop changé, mais elle avait coupé ses cheveux très courts.
— Salut ! dis-je machinalement.... je pensais que tu ne viendrais plus...
— Bonjour... on avait des courses à faire... je te présente mon ami, Tony.
— Bonjour... me dit Tony timidement.
— Tu finis dans combien de temps ? demanda Nadège.
— Dans cinq minutes !
— Tu as des nouvelles de Léa ?
— Oui, j’ai téléphoné tout à l’heure, elle a vu le psy et elle est a été transférée dans le service des infectieux.
— Tu sais ce qui s’est passé ?
— Non, pas vraiment... Pierrick voulait me parler, mais bon... il va se défiler comme d’habitude parce qu’il sait qu’avec moi il ne sera pas question de me mener en bateau ! Quand je pourrais voir Léa, elle me dira peut-être... Vous êtes pressés ? On aurait pu aller boire un café en ville ?
— Oui, si tu veux.. Tu vas chercher tes affaires, on t’attend dehors.
Angéla était partie dans la salle de repos, j’ai pris ma veste et je suis allée lui dire au revoir :
— Wouahou ! Qu’est-ce qui t’arrive Mary ? Tu en as un grand sourire ! Mais tu pars déjà ? me demanda-t-elle étonnée par ma précipitation.
— Oui, je vais boire un café à l’extérieur avec Nadège...
— Aaaaahhh.... Elle est là ! C’est avec elle que tu parlais tout à l’heure ?
— Oui...
— Bah dis donc ma chérie, il y a longtemps que je ne t’avais pas vu avec une telle joie sur ton visage ! Tu es transformée !
— Ah bon ? Ben... j’attendais ce moment-là depuis trois ans, tu sais... je pensais qu’on ne se reverrait jamais , elle ne voulait même plus mettre un pied à Rouen et elle ne voulait pas non plus que j’aille à Lisieux... j’ai comme l’impression d’avoir rendez-vous avec un fantôme...
— Oui, je comprends alors file, elle t’attend ! Bonne soirée et à demain ma chérie...
Naturellement avec Nadège nous nous sommes dirigées vers le pub pas très loin du restaurant, celui où nous sommes sorties pour la première fois ensemble, nous avons pris notre premier café ici, en dehors de notre lieu de travail.
Une fois installées devant notre tasse, nous avons commencé à revenir sur notre passé, nos amis de l’époque, les lieux que nous fréquentions, les boîtes de nuit, les bars, les longues discussions la nuit chez elle, notre relation... Nous avons abordé tous les sujets dont Nadège refusait de parler depuis trois ans. J’avais l’impression de rêver en l’écoutant. Elle me faisait un beau cadeau parce que j’avais vraiment besoin de remettre certaines choses à leur place, d’en comprendre d’autres et d’en intégrer aussi.
Notre amitié avait été parasitée par notre entourage, mais aussi par quelque chose que je ne pouvais pas décrire, quelque chose d’extérieur à nous, quelque chose d’inconscient peut-être... je ne savais pas expliquer, mais je ressentais que, quoi qu’on fasse, quelque chose nous échappait complètement et que nous étions obligées de passer par la souffrance pour retrouver le chemin de la paix. C’était un peu comme si nous avions une leçon à apprendre de notre histoire. C’est sans doute la raison pour laquelle depuis trois ans, malgré mon désespoir, j’ai tenu à garder contact quoiqu’il arrive.
Le seul lien fut quelques messages envoyés par-ci, par-là, très superficiels puisque nous ne pouvions pas entrer dans ce qui était douloureux pour Nadège. J’avais toujours eu cette impression de l’avoir blessée sans le vouloir et sans avoir fait quoi que ce soit... c’était étrange comme sensation, comme si nous vivions notre histoire dans un contexte décalé. J’avais été un révélateur, un déclencheur d’une profonde blessure en elle, mais je n’en étais pas l’auteure... Ce qu’elle vivait émotionnellement et intérieurement ne correspondait pas à la réalité du présent. Il m’était impossible d’agir, car sa souffrance était interne, les projections qu’elle faisait sur moi ne me concernaient pas en fait, mais j’étais la seule à avoir conscience de cela dans mon for intérieur. Nous vivions notre histoire sur des plans différents. Je recevais ce qu’elle vivait, j’étais impuissante, il m’a fallu du temps pour me détacher de ce qu’elle m’envoyait et être juste là, présente sans agir.
Elle a fait un long chemin de guérison ensuite, en solitaire, face à elle-même, elle s’est réparée toute seule ou presque... avec l’aide de gens compétents dans le domaine de la psychologie. Elle est descendue dans les profondeurs de son obscurité pour remonter à la surface dix fois plus forte qu’avant. J’avais en face de moi, une femme épanouie et équilibrée, encore fragile, mais consciente de sa fragilité et respectueuse de cette partie d’elle-même dont elle prenait soin. Son ennemi le plus redoutable a été l’alcool. Comme elle le disait elle-même, chez elle, son frigo était toujours vide, mais il y avait toujours quelque chose boire. C’était la triste réalité et ce fut le début de sa descente aux enfers. Les émotions ont été tellement fortes qu’elle n’a pas pu les gérer, elle les a fuies et noyées dans l’alcool. Petit à petit, l’alcool l’a détruite. Je ne reconnaissais plus mon amie alors que là, derrière cette petite tasse de café, je retrouvais celle que j’avais connue avant la descente aux enfers, mais avec quelque chose en plus, une certaine détermination à vivre qu’elle n’avait pas forcément avant.
Nadège me proposa de me déposer chez moi, elle était curieuse de savoir où j’habitais. Avant de se quitter, elle me demanda :
— Tu me tiendras au courant pour Léa ?
— Oui, bien sûr...
— Tu lui passeras le bonjour de ma part...
— Je ne sais pas si c’est le bon moment...
— Non, tu as raison, ne dis rien... Tu sais, je l’aimais bien Léa, mais sa jalousie, c’était vraiment chiant...
— Oui... je sais... Je lui dirai plus tard, je lui dirai que tu es venue, que je t’ai vue.
— Je penserai à elle...
— Tu ne regrettes pas d’être venue ? D’avoir franchi ce cap...
— Non, pas du tout ! Je ne serais pas venue si j’avais eu un doute.
— Tu m’aurais dit que tu venais ce week-end si je ne t’avais pas envoyé mon message ?
— Je ne sais pas... peut-être que je l’aurais fait au dernier moment... drôle de coïncidence ton message...
— Hum... Tu reviendras ?
— Oui bien sûr ! répondit-elle d’un ton enthousiaste.
— Je suis super heureuse de t’avoir vue ! J’attendais depuis tellement longtemps...
— Il m’a fallu du temps, tu sais... On ne ressort pas indemne d’une tentative de suicide, il faut du temps pour se reconstruire, c’est une deuxième naissance... pendant la réanimation, je me suis vue au-dessus de mon corps... j’entendais et je voyais tout ce qui se disait dans la salle... j’étais bien là où j’étais, je n’avais plus de souffrance... c’est difficile de revenir... Léa va avoir beaucoup de mal aussi, prend soin d’elle...
— On ne peut pas prendre soin des gens contre leur gré, tu sais...
— Ta présence suffit Mary... Tu ne te rends pas compte...
— Elle a refait sa vie, elle met des barrières avec ses amis, je ne peux pas faire plus que ce qu’elle m’autorise, dans un espace de plus en plus restreint...
— Oui, je sais que ce n’est pas facile... dit-elle dans un soupir.
— Je serai là dans la mesure du possible... de toute façon, c’est naturel, je ne peux pas la laisser... c’est un peu comme si je m’abandonnais moi-même...
— Oui... je comprends bien... Bon courage et à bientôt... Il est temps qu’on y aille maintenant...
— OK... Prends soin de toi... À bientôt...
La boucle était bouclée entre nous, nous ne nous sommes jamais revues. Nadège s’est engagée dans la gendarmerie, le comble du hasard est qu’elle ait été affectée à un poste dans la petite commune de mes parents et que mon petit frère a eu l’occasion de se faire contrôler par ses soins ! Je n’ai jamais eu ce plaisir...
En rentrant de ces retrouvailles avec Nadège, j’ai téléphoné à Léa dans sa chambre d’hôpital.
Maryline
En rentrant de ces retrouvailles avec Nadège, j’ai téléphoné à Léa dans sa chambre d’hôpital.
— Salut, c’est Mary...
— Bonjour... répondit une voix à peine audible.
— Tu es seule ? demandai-je sentant qu’elle avait de la visite.
— Non, tu peux me rappeler plus tard ?
— OK à tout à l’heure.
J’ai attendu le début de la soirée pour rappeler :
— Alors, qu’est-ce qui s’est passé ? demandai-je à Léa.
— J’en avais marre... répondit-elle en commençant à pleurer.
— Marre de quoi ?
— De tout ! Je ne voyais plus comment m’en sortir...
— Tu sais que tu n’es pas seule ? Tu sais qu’on est là pour t’aider et qu’on ne t’aurait jamais laissé tomber malgré tes décisions...
— C’était trop dur, je n’y arrivais pas, j’ai préparé ça depuis longtemps, j’avais tout préparé dans un dossier pour ma belle sœur, avec toutes les personnes à prévenir, tout ce qu’il fallait qu’elle fasse, je voulais être incinérée et je voulais qu’on jette mes cendres dans la mer, en Bretagne...
— Ta belle-sœur est loin d’avoir prévenu qui que ce soit... j’attends toujours le coup de fil de Pierrick, si tu veux que tes amis soient prévenus... change d’interlocuteurs... si je n’avais pas reçu tes messages, je ne serais même pas au courant !
Je sentais la colère monter en moi, j’avais du mal à me calmer, l’heure n’était pas aux règlements de comptes, je les détestais tellement tous les deux !
Finalement, Léa m’a expliqué que le traitement anti dépresseur qu’elle prenait depuis deux mois, n’était pas adapté, il l’avait enfoncée dans la dépression. Nous avons échangé pendant une heure et j’avais la sensation de brasser de l’air. A quoi bon être présente si on n’a rien d’autre à donner que de la colère ? Je n’avais plus d’énergie pour pouvoir offrir autre chose. Sa belle-sœur devait venir la chercher le lendemain pour sa sortie d’hôpital.
Le lendemain, je travaillais avec Angéla pour la dernière fois, car elle était apte à prendre son poste de manager de restaurant seule. Je sentais une certaine nostalgie s’installer entre nous. Elle voulait demander à notre directeur de nous mettre les mêmes jours de repos pour qu’on puisse se voir à l’extérieur, ce que je lui ai vivement déconseillé de faire... Elle m’a remercié je ne sais combien de fois pour la formation, pour être entrée dans sa vie, pour tous les moments que nous avions partagés.
Maryline
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