
24 avril 2005
Mon beau-père n’en finit pas de me surprendre en ce moment. Je voulais fêter l’anniversaire de mon petit frère et j’hésitais à faire un petit repas chez moi entre frères et sœurs, ou un goûter chez mes parents pour ne pas trop déranger Guillaume. J’ai laissé le choix à mon frère et après discussion avec son père, il m’a rappelée pour m’annoncer que nous étions tous invités chez mes parents pour un repas. J’avoue que je suis agréablement surprise et limite perturbée après quatre ou cinq ans sans repas de famille... Je suis heureuse que tout le monde soit réuni et que ma mère puisse être présente aussi.
Ma mère est un peu plus éveillée depuis quelques jours, son traitement anti épileptique a été diminué, elle est moins somnolente. Mon beau-père se débrouille avec les associations pour remplacer l’aide à domicile pendant ses congés et le week-end. Ce n’est jamais évident de s’adapter à une autre personne pour les soins de ma mère. Les heures de coucher sont extrêmement contraignantes, le personnel soignant coucherait ma mère à 19 h. Comme Guillaume ne rentre pas forcément de bonne heure, il a préféré s’en occuper lui-même, après lui avoir donné à manger.
Alors qu’il me parlait de toute cette organisation ce soir à table, ma mère avait accroché mon regard et ne me lâchait plus. Guillaume était en train de lui donner un yaourt, il avait posé sa main gauche sur celle de ma mère. J’avais la sensation qu’elle voulait dire quelque chose, ses yeux parlaient pour elle. Puis, d’un seul coup le son sortit de sa bouche :
— C’est dur hein ? dit-elle à son mari.
— Oui, c’est dur... répondit-il.
Tout comme moi, il se demandait si parfois elle était lucide sur son état, elle répétait souvent qu’elle en avait marre. Ce soir, il me semblait qu’il considérait de nouveau ma mère comme sa femme et non plus juste comme une mère... J’étais touchée, émue... Il exprimait beaucoup de tendresse, moins de colère. Je suis persuadée que ma mère navigue entre plusieurs mondes, mais lorsqu’elle est avec nous, elle est complètement lucide. Je repensais à leur relation, au tout début quand ils se sont rencontrés, avant la naissance de mon frère, il était tendre avec elle, je le voyais bien. Après la naissance de mon frère, les choses ont changé, il voyait une mère, plus une femme. La maladie a fait qu’elle a repris son rôle de femme, n’assumant plus son rôle de mère... Les épreuves ouvrent les cœurs après les avoir broyés. Ce qu’on ne peut apprendre par la sagesse, nous l’apprenons malheureusement dans la souffrance. Je redécouvre un homme sensible et profondément blessé. Ma vision a changé, il n’est plus celui que j’avais connu et que j’avais tant détesté. Je suis rassurée sur le prochain repas de famille qui aura lieu dans quelques jours, tout devrait bien se passer et cela fait un bien fou de se sentir sereine, enfin !
10 mai 2005
J’ai appris hier, de la bouche de Guillaume que mon grand-père, décédé en 1996, aurait dû subir une nouvelle opération cardiaque et qu’il avait refusé, ne souhaitant pas revivre ce qu’il avait déjà vécu dix-sept ans auparavant suite à un triple pontage. Il a choisi sa mort, sur son lieu de vacances, pendant son sommeil. On en apprend tous les jours, neuf ans après sa disparition, cette information n’est pas de grande utilité sinon qu’il nous avait caché qu’il avait des problèmes de santé graves auxquels il ne voulait pas remédier. Ce choix lui a appartenu, il a décidé qu’il avait assez vécu et qu’il ne voulait surtout plus souffrir. Je respecte ce que les gens ont envie de faire de leur vie, quoiqu’il choisisse, cela reste un choix personnel, chacun est libre et responsable de sa propre vie, personne ne peut juger ce genre de décision. Que son âme reste en paix.
Ma grand-mère n’est pas en grande forme, elle fait une fixation sur ses voisins et inventent des histoires. Depuis une semaine, elle est à cran, son médecin devait passer la voir aujourd’hui. Mon oncle Patrice a demandé à ce qu’une infirmière passe pour donner les médicaments à sa mère, car elle ne les prenait pas correctement et cela entraînait des crises de paranoïa assez sévères.
Les traitements ne sont pas ajustés en ce moment, car, du côté de ma mère, l’anti épileptique que le médecin avait baissé a entraîné une crise d’épilepsie le jour de l’anniversaire de mon frère. Le traitement a dû être réadapté, ce n’est pas facile de trouver la bonne mesure pour que ma mère ne soit ni en crise ni en somnolence. On jongle sans arrêt avec les doses, c’est un cercle vicieux et sans fin.
22 mai 2005
Je rentre d’un week-end passé à Paris chez mon amie Karine. Il m’est bien difficile de cohabiter avec plusieurs personnes sur plusieurs jours. Je suis en vacances et j’aimerais me vider la tête, être seule, au calme.
Dans huit jours, ce sera la fête des Mères et Karine ne comprend pas pourquoi je n’ai pas envie d’acheter de cadeau à ma mère, juste pour lui faire plaisir. Si elle voyait ma mère, elle comprendrait que la notion de plaisir n’existe plus depuis longtemps. Nous sommes dans une dimension de soins vitaux, le plaisir, nous n’en parlons même pas. Ma mère ne sait plus ce qu’est un cadeau, elle ne sait plus qu’elle est ma mère, elle ne sait plus que je suis sa fille... à quoi bon ? Si ce n’est juste me faire mal. Ma mère est là sans être présente, celle qui m’a élevée n’existe plus, seule reste son enveloppe physique qui ne lui ressemble plus non plus. Peut-être qu’au fond de moi, je m’habitue déjà à ne plus fêter certains événements douloureux. Le mois de mai est chargé en émotion entre les dates d’anniversaire de mon petit frère le tout premier jour, le mien juste au milieu et la fête des Mères qui clôture le mois... c’est beaucoup d’un coup, une accumulation d’émotions tristes.
Sophie se prépare à se faire opérer le 3 juin, les tensions montent, je me pose beaucoup de questions, je sens des surprises après l’opération, je ne sais pas pourquoi... J’ai l’impression de ne vivre qu’avec des gens malades depuis dix ans, j’ai de plus en plus de mal à accepter la maladie autour de moi.
Maryline
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